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IV

Les faits que nous avons rapportés et les textes que nous avons cités nous dispensent de réflexions. Savio cherico e sottile, dit Villani ; astutus miles, dit le continuateur de Nangis ; vir in agibilibus admodum circumspectus, dit Walsingham. Tous les contemporains se servent à cet égard presque des mêmes expressions :

Un chevaliers qui lors estoit
(Guillaume ot non de Longaret)
Preuz estoit de chevalerie,
Et en soi avoit la clergie.

L’énergie, la hardiesse d’un pareil rôle, sont un perpétuel sujet d’étonnement. Nogaret ne peut être comparé qu’à Jean Hus et à Luther ; mais il n’est donné qu’à des théologiens d’opérer des révolutions théologiques : le légiste, le magistrat sont pour cela impuissans. Voilà pourquoi la tentative de Nogaret a été en somme peu féconde. Il fonda une famille de riches barons, qui tint pendant des siècles une place de premier ordre en Languedoc ; en réalité il fit peu de chose, si on le compare au pauvre moine Luther. On peut dire qu’il atteignit son but, qui était de mettre la papauté dans la dépendance de la France, de l’exploiter au profit de la maison capétienne, de créer le roi juge de l’orthodoxie du pape, d’établir en principe, comme dit Geffroi de Paris, que le roi ne doit être soumis au pape au spirituel que « si le pape est en la foi tel qu’il doit être. »

Et s’il n’estoit bien en la foy,
Foy ne lui garderait ne loy,
Ainçois le pugniroit par droit :
« Venu pour pugnir ton mesfet,
« S’en la foy t’ies de riens forfet. »
Boniface, quant celui ot,
N’a talent que il die mot.

Mais cela ne dura qu’un siècle ; la papauté s’émancipa bientôt de la France, et, au lieu d’une église nationale, la France eut un lien plus gênant que jamais avec un centre religieux étranger, lien qui l’empêcha au XVIe siècle d’embrasser le protestantisme. L’église gallicane, de la sorte, ne devint pas ce que l’église anglicane est devenue sous Henry VIII. Henry VIII voulut simplement faire une église nationale. Philippe le Bel voulut s’emparer du pouvoir central de l’église universelle, le diriger à son profit ; il réussit sa vie durant, puis sa tentative se trouva frappée d’impossibilités. Elle échoua en partie par le grand schisme, et totalement par l’élection de Martin V. Henry VIII fut donc bien plus créateur et plus original que Philippe le Bel. Philippe ne nia jamais la papauté ; il nia