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mort. Dom Vaissète, après le père Anselme, a prouvé qu’elle dut arriver au mois d’avril 1313. Un passage de la chronique anonyme, intitulée Anciennes chroniques de Flandre, ferait, s’il était exact, vivre Nogaret jusque vers juillet 1314 au moins. Ce chroniqueur est souvent fautif ; ajoutons que la mention de Nogaret ne se trouve pas dans tous les manuscrits de ladite chronique.

Nogaret avait blessé trop profondément les idées religieuses de son temps pour que la légende ne se donnât point carrière à son sujet. La version généralement acceptée fut qu’il mourut enragé, tirant honteusement la langue devant toute la cour. Dans la chronique attribuée à Jean Desnouelles et qui fut écrite en 1388, nous lisons que Nogaret, « à la cour du roy, esraga[1], le langue traite moult hideusement, dont li roy fu moult esmervilliez et plusieurs qui avoient esté contre le pape Boniface. » Ce récit fantastique fut accueilli en Angleterre et surtout en Flandre, où la mémoire de Philippe et de ses conseillers resta dans une juste exécration. Le chroniqueur anglais Walsingham, après avoir parlé des noces magnifiques qui se firent à Boulogne en 1307 pour le mariage d’Edouard II, roi d’Angleterre, avec Isabelle, fille de Philippe, y plaça la fin tragique et grotesque que l’opinion populaire attribuait à Nogaret. L’anachronisme est énorme ; ce qui n’a pas empêché l’historien flamand Jacques de Meyer de le répéter. La conscience chrétienne voulut absolument que le ciel eût vengé un crime, le plus grand après celui de Pilate, dont les auteurs n’avaient selon le monde touché que des bénéfices. On prétendit que Philippe fut également frappé de la main de Dieu.

Nogaret, dans son testament de 1310, avait réglé que, s’il mourait « en France, » il serait enterré dans l’église des frères prêcheurs de Paris ; et que, s’il mourait plus près de Nîmes, il serait enterré chez les frères prêcheurs de Nîmes. On ne sait ce qui advint ; mais il est probable que Nogaret eut sa sépulture à Nîmes, car, si sa tombe avait été à Paris, elle serait arrivée à quelque célébrité. Nogaret, comme Pierre Du Bois, comme Philippe lui-même, aimait les dominicains et les préférait beaucoup aux anciens ordres en décadence. Nogaret fut sûrement heureux de ne pas avoir survécu à Philippe. Les haines accumulées contre lui et la jalousie de Charles de Valois n’auraient pas manqué de se donner carrière à son égard, comme elles firent sur le malheureux Enguerrand de Marigni. Sous Philippe le Long, le nom de Nogaret revient, mais comme un souvenir. Dans le règlement que fit ce roi, lors de son avènement à la couronne, au bois de Vincennes, le 2 décembre 1316, pour l’ordre de son hôtel, il réduit les appointemens de ses officiers, entre autres de son

  1. Enragea.