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avait aussi remporté sa victoire ; il avait évité un précédent funeste pour la papauté et dont les conséquences eussent été incalculables. Les sacrifiés furent les Gaetani. Pour eux pas un mot bienveillant, on laisse planer sur eux le soupçon de violence en l’affaire de Rainaldo da Supino ; le pape lui-même les déclara fabricateurs de fausses pièces. La translation, déjà presque définitive, du saint-siège à Avignon enlevait à ces familles romaines toute leur importance ; il n’y avait plus de raison pour les ménager.

L’histoire, sur ce singulier différend, ne fut pas plus incorruptible que ne l’avaient été les contemporains. La version officielle ou, si l’on veut, le mensonge de Nogaret sur la scène d’Anagni s’imposa à la postérité comme à l’opinion de son temps. Les récits du continuateur de Nangis, de Girard de Frachet sont en tout presque conformes aux apologies de Nogaret. Boniface, selon eux, a eu tous les torts, le roi n’a fait que se défendre ; Nogaret a été le porteur courageux de l’intimation. Jean de Saint-Victor est aussi très favorable au roi. Bernard Guidonis regarde bien l’affaire d’Anagni comme un scandale ; mais il est dur pour Boniface, il estime que ce qui lui est arrivé a été une juste punition de son orgueil et de son avarice. Le chroniqueur de Saint-Denis ne veut voir en Nogaret qu’un protecteur de Boniface : « O toi, chétif pape, aurait-il dit, confère et regarde de monseigneur le roi de France la bonté, qui, tant loing est de toi son royaume, te garde par moi et défend. » Nicole Gilles adopta le récit du chroniqueur de Saint-Denis. D’autres rejetèrent la faute sur les Colonnes, qui usurpèrent l’étendard du roi. D’autres enfin, comme Geffroi de Paris, dont le récit est du reste fort inexact, avouèrent que le plus sage était de s’abstenir :

Si fut décéu par cuidance,
Quand il fut pris da roy de France,
Je dis mal, mès de son sergent.
Le roy ne savoit pas tel gent
Qu’ils déussent tel chose enprendre ;
Si n’en doit-on le roy reprendre.
Mès d’autre part j’ai ouï dire
Que le roy pas bien escondire
De ceste chose puis se pout.
Je n’en sai riens, mès Diex set tout.

Seuls, quelques Italiens parlèrent de Nogaret avec sévérité. En France, pas une voix, si l’on excepte celle de Sponde, ne s’éleva contre lui. Le système justificatif de Nogaret s’imposa jusqu’aux temps modernes. Dupuy s’y tient fidèlement ; Baillet s’en écarte peu. Presque de nos jours, l’école légitimiste gallicane de la restauration crut devoir à peu près adopter la version du moine de Saint-Denis, et présenta Nogaret comme ayant su faire « un juste