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de France. Jamais ces rois n’ont reconnu d’autre supérieur que Dieu pour le temporel. Ils ont toujours été fort religieux, exposant leur vie et celle de leurs sujets pour défendre les droits et libertés de l’église, conformément aux coutumes du royaume, selon lesquelles certaines prérogatives qui ailleurs appartiennent aux églises appartiennent ici de coutume ancienne au roi, et certaines prérogatives temporelles qui devraient appartenir au roi appartiennent de coutume aux églises. Les rois de France ont fondé les églises de leur royaume ; ces églises sont sous la garde du roi, qui les a préservées de toute erreur. Ce fut en haine de ce que ses crimes et ses hérésies avaient été publiquement découverts en France que Boniface mit tant d’ardeur à miner le royaume orthodoxe. Le roi ignorait bien des choses à cause de la distance ; mais Guillaume, qui était alors dans ces parages, comme catholique et membre de l’église, à laquelle, en temps de nécessité, tout catholique est tenu de porter aide, Guillaume n’a pas dû abandonner sa mère, que ledit Boniface s’empressait de massacrer, ni négliger la foi, qui était foulée aux pieds par lui, ni sa patrie, que ce frénétique voulait détruire, ni son roi, qu’il haïssait comme défenseur de la foi et persécuteur des hérésies.

Pendant la suspension des audiences d’Avignon, l’enquête testimoniale se continuait. Le 23 mai 1310, le pape nomma des commissaires chargés de se transporter à Rome, en Lombardie, en Toscane, afin d’entendre les témoins vieux, valétudinaires ou prêts à s’absenter pour longtemps. Toutes les dépositions devaient être secrètes. On mit d’abord, à l’enquête beaucoup de lenteur. Nogaret et ses substituts se plaignaient sans cesse que la preuve périssait, que les témoins mouraient. Le 23 août 1310, Clément rassure le roi sur les plaintes qu’on lui faisait à ce sujet, et lui apprend qu’il a déjà rendu quelques jugemens contre les témoins qui refusaient de parler. Il est à peine croyable qu’un pontife romain ait pu oublier à ce point ce qu’il devait à son titre. Le plus horrible scandale de l’histoire de la papauté allait se produire. Clément se doutait bien de la boue qu’on allait remuer, mais, en homme du monde superficiel et facile, il ne voyait pas le tort qu’il faisait à l’église ; étranger à la tradition romaine, il était d’ailleurs moins sensible que n’eût été un Italien à la honte du saint-siège. Au moins aurait-il dû prévoir l’affreuse nudité que la main dure et brutale de juges habitués à fouiller des choses impures allait révéler ; il aurait dû craindre les ordures de leur imagination souillée, les crudités de leur langage. A la face du monde, la maison du père commun des fidèles allait être assimilée à Sodome, à Gomorrhe ; on allait enseigner à la chrétienté que le chef de l’église de Dieu pouvait être un