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du pouvoir de leurs ennemis, » et voulant qu’on ne divulguât pas leurs noms, tant pour les préserver du péril que dans l’intérêt de la preuve. Ils nommèrent les cardinaux qui leur étaient suspects, au nombre de huit. Les défenseurs récusèrent de leur côté les députés de France, accusateurs de Boniface. Tout incident qui faisait traîner l’affaire était vivement accueilli par le pape et soigneusement tiré en longueur.

Nous avons vu dès le début de la procédure Nogaret demander l’absolution à cautèle, dont il croyait avoir besoin pour agir en justice. Il ne l’obtint pas ; mais il ne laissa pas d’être admis, sur ce principe, que tout le monde doit être indifféremment reçu à déposer en matière de religion, et surtout dans deux chefs aussi importans à l’église qu’il était de savoir si Boniface avait été faux pape et s’il était mort dans l’hérésie. Les Français soutinrent que toute personne était apte à une telle poursuite, même un ennemi avoué, car il y a un intérêt suprême à ce que les hérétiques soient punis ; qu’au contraire nul ne devait être admis à défendre la mémoire d’une personne accusée d’hérésie. On surprend ici la pratique constante de Nogaret, pratique qu’il suivit dans l’affaire des templiers, et qui est également familière à Pierre Du Bois ; les légistes combattaient l’église en poussant aux dernières limites les rigueurs du droit inquisitorial, en se prétendant plus rigides que les ecclésiastiques sur les choses de la foi. Le consistoire refusa du reste de suivre Nogaret et Plaisian dans ces excès. Naturellement les défenseurs de Boniface soutenaient de leur côté que les accusateurs, étant tous publiquement reconnus pour les principaux auteurs de la conspiration d’Anagni, n’étaient point recevables en leurs dépositions.

On arriva ainsi à Pâques, qui cette année tomba le 19 avril. La reprise de la procédure fut ajournée après les solennités. Alors survint un incident singulier. Nogaret voulut participer à la communion pascale, comme s’il n’eût été lié d’aucune censure. Le pape lui fit dire qu’il devait se comporter comme un excommunié, en vertu de la sentence de Benoît XI. Nogaret répondit qu’il ne croyait plus avoir besoin d’absolution depuis que sa sainteté lui avait fait l’honneur de l’admettre dans ses entretiens et qu’elle avait bien voulu conférer tête à tête avec lui. Il allégua même l’autorité de quelques canonistes, qui estimaient que l’honneur d’avoir salué où entretenu le pape tenait lieu d’absolution à un excommunié.

Les audiences reprirent le 8 mai, mais ne cessèrent de traîner dans des formalités sans fin. Les plus frivoles prétextes amenaient des ajournemens. Un saignement de nez que le pape a eu dans la nuit suffit pour faire remettre une séance. Le 13 mai, le pape, en