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devait apporter pour dot le royaume d’Arles, le refus du pape de mettre ses anathèmes à la disposition du roi pour réduire les Flamands. La relation de cette curieuse affaire, que Dupuy semble avoir volontairement soustraite à la publicité, a été récemment imprimée et traduite par M. Boutaric[1]. Il résulte de ce curieux document qu’au mois de décembre 1309 Philippe avait à Avignon jusqu’à trois ambassades, munies chacune d’instructions différentes : l’une ayant pour chef Geoffroi du Plessis, évêque de Bayeux, l’autre confiée à l’abbé de Saint-Médard, la troisième représentée par le seul Nogaret. Celui-ci, comme excommunié, ne put traiter directement avec le pape, mais on sent que le nœud de la négociation était entre ses mains. Les duplicités de cette diplomatie de clercs et de légistes n’ont jamais été surpassées ; ce sont des réserves, des démentis, des pas en avant et en arrière qui font sourire. Le rusé Nogaret s’aperçoit toujours derrière ses collègues plus solennels que lui. Sa force était la perspective de l’horrible procès dont il laissait pressentir d’avance les monstrueux détails. A un moment, le camérier qui s’entretenait avec lui au nom du pape le tire à part, lui demande s’il ne serait pas possible de mettre fin aux tourmens que le saint-père a déjà supportés à ce sujet, et le prie de mener cette affaire à bonne fin. « Je lui répondis prudemment, dit Nogaret, que cela ne me regardait pas, que l’affaire appartenait au seigneur pape, qui pouvait trouver plusieurs bons moyens, s’il voulait. » Pierre de La Capelle, cardinal de Palestrine, ami de la France, fut très pressant. « Par la male fortune, dit-il aux ambassadeurs, pourquoi ne vous hâtez-vous pas de faire en sorte que monseigneur le roi de France soit déchargé de cette affaire, qui nous a déjà donné tant de mal ? Je vous dis que l’église romaine peut beaucoup de grandes et de terribles choses contre les plus puissans de ce monde, quand elle a sujet d’agir. Si le roi ne se dégage pas, cette affaire pourra devenir la cause d’un des plus graves événemens de notre temps. » Le cardinal accentua ces paroles en posant ses mains sur ses genoux, secouant la tête et le corps d’un air significatif et regardant les ambassadeurs français d’un’ œil fixe. « En agissant ainsi, dit-il avec une allusion obscure pour nous, vous n’auriez à craindre ni couronne noire ni couronne blanche. » Les ambassadeurs français ne cédèrent pas : il fallait « venger l’honneur de Dieu et l’honneur du roi des outrages qu’ils avaient reçus. »

Nogaret partit d’Avignon le mardi avant Noël, emportant la réponse écrite du pape aux articles du roi. Il affectait d’en être très mécontent, et allait presque jusqu’à la menace. Les négociations

  1. Revue des questions historiques, 1er janv. 1872, p. 23 et suiv.