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noble ambition de conquérir ou de défendre l’indépendance nationale, et non, comme les campagnes de la Prusse, le désir de s’enrichir avec les dépouilles d’autrui. Il en est résulté chez le peuple hollandais un sentiment extrêmement vif de la liberté, du droit populaire, de l’individualisme, sentiment qui tranche singulièrement avec cette vertu prussienne qui consiste surtout à se courber et à obéir. La bureaucratie prussienne, par exemple, si on la transportait eu Hollande avec le servilisme de ses habitudes et l’arrogance de ses prétentions, ne tarderait pas à être intolérable.

La Hollande est riche depuis longtemps, et, sans faire plus de cas qu’il ne convient de cette supériorité, il ne faut pas méconnaître qu’une longue possession de la richesse a creusé un abîme entre les habitudes cossues, étoffées, du peuple hollandais et la vie gênée, maigre à tous égards, du peuple allemand. Pauvreté n’est pas vice, mais richesse non plus, et surtout, quand il s’agit de deux peuples, on peut être certain d’avance que leurs qualités et leurs défauts se ressentiront fortement de l’inégalité de leur fortune. Par exemple, l’esprit hollandais, rendu plus souple par son éducation historique et sociale, s’ouvre bien plus facilement que l’esprit allemand aux opinions et aux idées d’origine étrangère. Le Hollandais possède les qualités germaniques de sérieux dans la vie et de profondeur dans la pensée, mais il sait apprécier, il aime le brillant des peuples latins. L’esprit français trouve en lui un admirateur très sympathique. L’écrivain hollandais, comme le français, tâche d’écrire d’une manière agréable. Il ne se modèle pas sur ces gros livres allemands, très savans sans doute, mais qui font payer si cher à leurs lecteurs le profit qu’ils en peuvent tirer. Que de fois on lit les Allemands avec un sentiment comparable à celui du voyageur qui se résigne à la poussière du chemin et à la grosse chaleur du jour dans l’espoir d’arriver enfin à quelque chose qui le récompensera de toutes ses peines ! Les savans allemands qui ont du style sont rares ; bien peu songent à lutter avec la langue, à la dompter, à l’assouplir, et il y a plus d’artistes de la plume dans la petite Hollande que dans la grande Allemagne.

Cette remarque trouve son explication dans un fait d’ordre plus général. La personnalité, le type individuel est plus fortement marqué en Hollande qu’en Allemagne. Bien peu de savans allemands gagnent à être connus personnellement ; le livre et l’écrivain en Allemagne se confondent. Le savant allemand, inépuisable tant qu’on lui parle de sa science spéciale, est muet sur tout le reste. Si vous le suivez sur son terrain de prédilection, ne vous avisez pas de le contredire : vous êtes par cela même à ses yeux un ignorant, si ce n’est un homme immoral. La causerie, la discussion, ne lui vont pas. Il ne comprend rien au trait sardonique lancé sans