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Il y a trop de différences de tempérament intellectuel pour qu’une fusion complète s’opère. En Hollande, il y a certainement aussi une différence de constitution morale entre les deux nations ; toutefois elle est naturellement moins tranchée. Si donc il serait très faux de prétendre qu’il existe en Hollande un parti allemand, il est incontestable qu’on y peut noter une tendance germanisante, forte, non par le nombre, mais par le talent de ses représentans, et contribuant pour sa bonne part à cette mollesse relative de l’opinion dont nous avons indiqué les autres causes.


III

La vérité est que l’opinion publique en Hollande ne s’inquiète pas autant de la situation que nous pourrions le croire en France, où de sanglantes expériences nous ont appris ce qu’il faut penser de la modération et de l’équité germaniques. Reconnaissons du reste qu’il ne serait pas conforme à la dignité d’un petit peuple de s’agiter dans le vide et de provoquer par des démonstrations impuissantes le malheur même qu’il redoute. Il ne manque pas non plus en Hollande de bons esprits, éclairés par un patriotisme prévoyant, et qui, sans haine contre l’Allemagne, croient pourtant nécessaire d’avertir leurs compatriotes du danger qui les menace et de dissiper les illusions que, par habitude, par indolence ou parti-pris, ils pourraient se faire encore. Tous les hommes universitaires sont loin d’avoir épousé les prétentions allemandes. Un honorable professeur d’Utrecht, M. Vreede, connu par ses travaux sur l’histoire diplomatique, a courageusement dénoncé les périls que la politique conquérante de la Prusse faisait courir à l’Europe entière. Un autre professeur dans la même ville, M. Quack, jeune écrivain d’un véritable talent, a excité mainte fois l’ire des « cousins d’Allemagne » en perçant de sa plume acérée le ballon goutté de la vertu germanique, et en versant des flots d’ironie sur ces professeurs d’esthétique qui réclamaient à cor et à cris le bombardement sans miséricorde des plus beaux monumens de la civilisation moderne. Est-il donc possible de professer l’esthétique et d’être aussi vandale ? Mentionnons encore un respectable philanthrope, M. de Bosch Kemper, d’Amsterdam, qui, dès les premiers jours, soutint contre l’opinion générale que, si l’empereur Napoléon avait eu le tort insigne de déclarer la guerre, le roi Guillaume avait fait tout ce qu’il fallait pour lui en inspirer le désir. Le chef du parti orangiste, M. Groen van Prinsterer, n’est pas non plus de ceux qui admirent la politique prussienne en fermant les yeux sur la gravité de la position désormais faite à son pays ; cependant le plus curieux et peut-être le