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situations qui pourraient un jour ou l’autre devenir menaçantes. En Hollande, on pécherait plutôt par le défaut opposé. Tant que les faits ne se sont pas déclarés avec leur évidence brutale, on ne sent pas la nécessité de s’en préoccuper beaucoup. Il est un proverbe hollandais d’une application fréquente dans les polémiques locales, lorsque l’on accuse les administrations communales d’incurie ou de négligence : « on ne bouche le puits qu’après que le veau s’y est noyé. » Peut-être pourrait-on l’appliquer parfois à de plus hautes questions. Ce qui est certain, c’est que les appréhensions des Hollandais à l’égard de l’Allemagne sont fort loin d’avoir atteint le degré ou elles se seraient élevées au sein d’une population française placée dans les mêmes circonstances.

En second lieu, le courant précis de l’opinion publique en Hollande est toujours difficile à déterminer ; on peut même se demander souvent s’il y existe une opinion publique, dès qu’il ne s’agit pas de certaines questions qui ont le privilège depuis longtemps d’intéresser fortement la population tout entière. Tel serait sans doute le cas, si l’indépendance nationale était menacée directement. Tant qu’il n’en est pas ainsi, l’opinion peut énormément varier d’une ville à l’autre et même dans une seule ville. Le Hollandais est très individualiste et supporte aisément la bigarrure des opinions politiques dans la société qu’il fréquente. À ce point de vue, le Suisse, par exemple, et le Hollandais sont aux antipodes l’un de l’autre. L’intolérance politique, si fréquente au sein des petites républiques helvétiques, est étrangère aux mœurs hollandaises. De là les erreurs dans lesquelles tombent fréquemment les étrangers quand ils prennent pour l’opinion d’un cercle ou d’une classe ce qui n’est que la pensée individuelle de ceux des membres de ce cercle ou de cette classe qu’ils ont pu consulter. Portez la conversation dans une réunion quelque peu nombreuse sur les dangers dont la Hollande est menacée par l’unité allemande, et vous avez grande chance de voir les opinions s’échelonner en revêtant toutes les nuances, depuis ceux qui sont très frappés de ces dangers et qui l’avouent jusqu’à ceux qui les nient avec plus d’assurance que de bonnes raisons.

N’oublions pas non plus que le peuple hollandais a les habitudes tenaces. Les Français ne peuvent pas se plaindre de la manière dont ils sont personnellement accueillis en Hollande. Au contraire on les recherche, on aime leur conversation, leur bonne humeur, leur nature sociable. Il est bien peu de pays hors de France où la littérature française, contemporaine aussi bien que classique, compte proportionnellement autant d’amateurs zélés. Ce goût prononcé remonte loin ; mais, si nous exceptons les dernières années du XVIIIe siècle, il n’a jamais entraîné l’amour de la France en tant