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elles comme dans les autres classes, la ferme résolution de rester « libres Hollandais » est générale, mais on dirait qu’elles se détournent volontiers de l’examen d’un état de choses qui déplaît, et auquel on ne peut rien. Il y a plus, si quelques publicistes distingués n’ont pas craint de dire nettement leur pensée sur les torts de l’Allemagne victorieuse, il en est d’autres, et ce ne sont pas les moins goûtés, qui professent de chaudes sympathies pour la nouvelle Allemagne, pallient ses fautes, exaltent ses mérites, et semblent complètement aveugles sur les dangers que court désormais leur indépendance nationale. A leurs yeux, dans la dernière guerre, c’est la France jusqu’au bout qui a eu tous les torts, l’Allemagne était d’une innocence d’agneau dans les démêlés qui ont précédé la rupture. Ne leur dites pas qu’il y a des Allemands qui comptent sur l’annexion sous une forme quelconque de leur pays à l’empire ; ils ne vous croient pas. De temps à autre cependant éclatent des symptômes qui devraient leur ouvrir les yeux. Un jour, c’est un recueil allemand qui refuse d’accorder à la littérature néerlandaise la place distincte qu’il lui réservait auparavant, et qui prétend la faire rentrer sous la rubrique allemande en général, parce que, dit la rédaction, il faut en finir avec tout particularisme. Un autre jour, c’est une feuille militaire allemande démontrant que l’armée hollandaise, postée à la frontière pendant la guerre franco-allemande, était toute prête à se jeter sur l’armée prussienne battue, et que c’est là un danger qu’une autre fois il faudrait prévenir. On se récrie, et à bon droit, sur l’absurdité de pareilles allégations ; rien en effet n’est plus contraire à la vérité que la supposition de l’écrivain allemand, et des officiers supérieurs hollandais l’ont déjà réfutée catégoriquement. On dirait que cette absurdité même suffit pour que les chauds amis du germanisme n’en tiennent qu’un très médiocre compte. Il y a chez eux quelque chose de l’engouement dont à la fin du dernier siècle les libéraux hollandais étaient possédés pour la France et les idées françaises, et tandis qu’en présence d’une situation si profondément changée on s’attendrait à un retour chaleureux des sympathies pour la France, là encore on peut s’étonner de la tiédeur générale de l’opinion. Il y a des exceptions remarquables sans doute, et elles ne sont ni obscures, ni rares ; en somme, on serait embarrassé de dire de quel côté penche décidément le sentiment national.

Cette indécision a plusieurs causes. En premier lieu, le peuple hollandais non-seulement ne s’échauffe pas vite, mais de plus il ne se passionne. pas pour les questions théoriques. C’est un trait qu’il a en commun avec le peuple anglais. Nous, en France, nous sacrifions à chaque instant le bien présent pour nous épargner les conséquences lointaines de principes que nous croyons faux, ou de