révèle aussi une tentative curieuse au point de vue purement technique, le parti-pris d’accorder aux fonds et aux accessoires une valeur inusitée. Dans la pratique habituelle de la peinture, les artistes détachent les figures, leur donnent le relief par le sacrifice des fonds. Il semble que Regnault ait voulu au contraire arriver à enlever les figures par la simplicité même du travail sur des fonds très ouvragés, très puissans de ton, de valeur et de coloration. Eût-il réussi par la suite ? Nul ne le sait ; mais sans contredit, il ne devait pas être satisfait du résultat de ses premiers efforts en ce sens.
Par contre, son dernier tableau, la Sortie du pacha, donne la sensation d’une œuvre parfaite ; jamais aucun peintre de lumière n’a trouvé une telle intensité d’éclat. Les procédés de Decamps, si prodigieusement compliqués, sont d’une naïveté quasi barbare comparés à ceux de Regnault, qui dans cette page atteint à l’éblouissement du soleil sur les murailles blanches sans un contraste, sans une opposition d’ombre, sans « repoussoir » au bitume. Il y a certains mots qu’une plume consciencieuse hésité à écrire tant ils sont facilement et inconsidérément prodigués. C’est ce qui cause notre indécision au moment de caractériser le talent d’Henri Regnault. Pouvons-nous dire que le peintre de Prim, de la Salomé et de l’Exécution, pour ne rappeler que ses œuvres capitales, était un. artiste de génie ? Non, car dans cette exposition de ses peintures, aquarelles et dessins, il ne se rencontre pas un ouvrage terminé qui laisse une émotion de grandeur sans mélange. Néanmoins on sent partout circulant à travers toutes ces pages comme une sève bouillante, un souffle d’étude si puissant, une telle avidité de voir, d’apprendre, une spontanéité si entraînante, des dons d’interprétation si originaux, si indépendans, et en même temps, sous une apparence désordonnée, si logiquement conduits à un même but, qu’il est impossible de se refuser à l’évidence : Regnault touchait au terme de l’éducation qu’il avait voulu se donner, il avait réuni tous ses élémens d’action, désormais il était maître de son instrument, il était arrivé à triompher des difficultés d’exécution technique de la façon la plus imprévue. Si le domaine de la grande forme classique lui était resté fermé, il était désormais sans rival dans le domaine de la lumière et de la couleur ; il est donc permis de croire que le temps seul lui a manqué pour être plus qu’un artiste d’un talent extraordinaire. Une toile immense, pour laquelle il avait amassé tant de matériaux dans l’Alhambra, nous eût, selon toute probabilité, révélé l’œuvre de génie dont cette exposition si touchante ne nous montre que la préface.
ERNEST CHESNEAU.
Le directeur-gérant, C. BULOZ.