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choses qui sont une évidente faiblesse ne semblent pas en train de s’améliorer, et qu’en fin de compte dans cette session de quatre mois on n’a pas fait certainement tout ce qu’on aurait pu et tout ce qu’on aurait dû faire. C’est là malheureusement la vérité. Depuis quatre mois, on a vécu, on n’a pas réalisé de progrès sensibles ; on s’est laissé aller à bien des querelles irritantes, on s’est perdu dans bien des détails, on a touché à une multitude de choses sans résoudre aucune question sérieuse, aucune de ces questions qui nous pressent impérieusement, — et on s’est consolé de ce qu’on ne faisait pas en multipliant les propositions ou les diversions à propos de tout, en discutant et en pérorant sur tout, en se livrant plus que jamais à cet esprit de critique et de fronde qui est peut-être le mal contemporain le plus caractérisé, qui est un dissolvant dans l’ordre politique comme dans l’ordre moral, et qui assurément, à l’heure où nous sommes, ne peut ni réparer le passé ni préparer l’avenir.

Oui, l’esprit critique, c’est notre mal, non pas, bien entendu, cet esprit critique qui voit de haut et procède d’un sentiment supérieur des choses, qui a pour objet de défendre le vrai, le juste et le beau dans la politique comme dans les arts, de redresser les notions fausses, de maintenir ou de rétablir l’ordre dans le domaine des intelligences. Celui-là manque précisément plus que jamais, il nous fait défaut à l’heure où il nous serait le plus utile. Il y a malheureusement un autre esprit critique qui est fort différent, qui consiste à tout fronder, à tout dénigrer, à jeter le désordre dans les débats les plus sérieux par l’invasion de toutes les fantaisies personnelles, de toutes les excentricités, de toutes les vanités bruyantes et prétentieuses. Cela nous rappelle ce temps du siège où se déployaient de si prodigieuses merveilles de stratégie, où chacun avait son plan de campagne pour percer les lignes prussiennes, et où c’était évidemment une trahison calculée des généraux de ne pas vouloir suivre ce plan sauveur. Il en est de même dans la politique ; c’est l’épanouissement de ce que les médecins appelleraient la manie raisonneuse, d’une passion sans limite de contradiction et de contestation. La politique, il est vrai, n’est point une chose si simple ; elle embrasse une multitude d’intérêts qu’il ne serait peut-être pas inutile de connaître avant d’en parler ; mais qu’à cela ne tienne. On serait obligé de faire un apprentissage pour exercer la profession la plus ordinaire ; quant à la politique, il est bien entendu que tout le monde la sait sans l’avoir étudiée. Il suffit pour cela d’avoir lu quelques journaux, d’avoir abreuvé son esprit dans ce courant de banalités et d’idées vulgaires qu’on appelle les polémiques quotidiennes. Et les meilleurs n’échappent pas quelquefois à ce triste esprit de critique et de fronde qui produit ce que M. Thiers appelait justement un jour l’anarchie intellectuelle. On s’accoutume à controverser sur tout, sur la diplomatie, sur l’administration, sur les finances, non plus pour arrivera une solution, mais par une sorte de dilettantisme intempérant. Et sait-on ce qui en