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Les monastères étaient généralement eutychiens fanatiques. Les magistrats des villes, les préfets des provinces, les personnages considérables tenant à la cour, se rangeaient en vertu de leur dignité sous les décrets d’Éphèse comme sous la religion officielle, et y entraînaient leurs subordonnés. Le catholicisme se trouvait peu à peu relégué de l’autre côté de la mer, dans les provinces de Syrie, d’Asie, et dans les églises qui gravitaient comme des satellites autour de ces grands centres religieux. On verra, par les récits qui vont suivre, que la Grèce continentale et l’Illyrie en Europe, l’Egypte et la Palestine à l’extrémité opposée de l’empire, formaient le domaine de l’eutychianisme, ou du moins des opinions eutychiennes à divers degrés de pureté, — la Syrie et ses annexes, celui de l’orthodoxie traditionnelle, penchant parfois vers le nestorianisme. Antioche était le foyer de celle-ci, Alexandrie le foyer de l’autre : on retrouvait encore là l’antagonisme séculaire de ces deux métropoles du monde oriental chrétien.

Tel on peut se figurer l’état de l’Orient. Une seule opinion régnait en Occident, celle de la foi traditionnelle orthodoxe; elle y régnait non-seulement par la conscience de sa vérité, mais par l’indignation qu’inspiraient Dioscore et son synode tyrannique. Mortellement blessée des procédés dont cette assemblée avait usé contre les légats du pape et contre le pape lui-même, dont elle avait refusé de recevoir la lettre, l’église romaine ne trouva pas de meilleure justification pour elle-même, de meilleure condamnation pour ses adversaires, que de publier cette lettre, où la foi catholique sur le mystère de l’incarnation était résumée en termes concis d’une netteté et d’une élégance qu’on pouvait dire admirables. Répandue dans toutes les églises, elle fut souscrite par toutes et devint en Occident la règle de la foi opposée aux fausses doctrines d’Éphèse. Les laïques eux-mêmes en sollicitaient des copies et se faisaient gloire de l’approuver par l’apposition de leur signature.

Une des causes de la colère des Occidentaux contre l’Orient provenait du mépris qu’on avait montré à Éphèse pour leurs représentans et pour eux. Les légats envoyés par la grande église romaine avaient été traités comme les derniers des clercs; on avait étouffé leurs réclamations, et ils avaient eu peine à sauver leur vie. La personne du pape avait été exposée aux plus incroyables outrages. L’évêque de la vieille Rome, le successeur de Pierre, avait été excommunié par une poignée d’évêques égyptiens sous la provocation d’un patriarche hérétique souillé de tous les crimes; jamais l’église occidentale n’avait eu à subir de pareils affronts. L’indignation croissait quand on songeait que ce pape si grossièrement insulté était le plus grand homme qui se fût encore assis sur le siège apostolique, un évêque que l’élévation de ses idées, son courage