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maison, il fit venir le Romain et l’interrogea sur sa condition, puis il lui dit : « La science de l’aruspicine (Genséric, comme beaucoup de barbares, la pratiquait et s’y croyait expert) me révèle que tu seras un jour empereur; je te donne la liberté, mais promets-moi de ne jamais faire la guerre à ma nation quand tu disposeras de la fortune de la tienne. » Marcien pensa sans doute que le roi barbare se moquait, et lui jura ce qu’il voulut; mais le hasard fit qu’il ne déclara point la guerre aux Vandales. Ces contes au fond sont de l’histoire, et c’est à ce titre que je leur donne place ici. Ils montrent que ce siècle si dévot, où les plus délicates questions de la théologie devenaient des causes populaires, n’en était pas moins superstitieux à l’excès; ils font voir en outre que Marcien, malgré tant de sollicitations surnaturelles, fut toujours trop honnête pour vouloir aider à son destin. Il n’en fut d’ailleurs que mieux accepté quand ce destin s’accomplit.

Marcien se montra digne de son élévation, et ne dépara point cette pourpre sous laquelle il fallait un soldat. La sévérité de ses habitudes un peu rudes, son désintéressement, son caractère franc et ami de la justice, rappelaient ces vieilles mœurs romaines perdues dans la corruption des villes, mais qui florissaient encore sous la tente, protégées par la discipline des camps. Il était peu lettré, mais on estimait son sens droit, et sa bravoure était proverbiale. Toutefois, l’intrigue et le savoir-faire n’étant point venus à son secours, l’empereur prédestiné n’était encore que tribun lorsque Théodose II, en considération de ses services, le fit entrer au sénat, où Pulchérie l’avait connu. Il était dans sa cinquante-huitième année, veuf d’un premier mariage, d’où provenait une fille qu’il maria au petit-fils du patrice Anthémius, lequel devint empereur d’Occident après les bouleversemens qui firent disparaître de cette autre moitié de l’empire la famille du grand Théodose.

L’occasion se présenta comme à souhait pour le nouvel empereur de montrer sa fermeté d’âme et son patriotisme romain. Il était à peine proclamé, qu’Attila lui envoya un ambassadeur pour réclamer le tribut que Théodose, dans l’abaissement de ses dernières années, avait consenti à lui payer. — Marcien reçut au milieu de sa cour l’ambassadeur du roi des Huns, et lui répondit par ces mots restés fameux : « retournez vers votre maître, et dites-lui que, s’il s’adresse à moi comme à un ami, je lui enverrai des présens; que si c’est comme à un tributaire, j’ai pour lui du fer et des armées qui valent les siennes. » Cette fière parole mit Attila en fureur, et il déclara qu’il ferait payer aux Romains, outre le tribut qu’ils lui devaient, les présens que leur empereur venait de lui promettre; toutefois la colère du barbare n’eut pas d’effet pour le moment, car l’armée innombrable qu’il réunissait sur le Danube était destinée à envahir