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en charpente tous les deux ans. De même encore, le chemin de fer qui relie l’état de New-York au Canada franchit le Niagara sur un pont suspendu en fil de fer, le plus hardi sans contredit qu’il y ait au monde. Tandis que nous proscrivons en France ce système de pont, même sur de simples routes de terre, par le motif que la stabilité en est toujours incertaine, les Américains font passer sur le pont suspendu du Niagara en même temps une route et un chemin de fer ; cela dure depuis 1855 sans qu’aucun accident ait encore donné tort à leur imprudence.

Quelque économes que soient les constructeur ! transatlantiques, plus de 6 milliards avaient été dépensés en travaux de chemins de fer avant, la guerre de sécession, et cette somme est sans doute plus que doublée maintenant. Comment de si gigantesques entreprises, ont-elles pu s’organiser dans une contrée où le capital trouve à s’employer sous mille formes diverses ? Tous les systèmes financiers connus en Europe furent essayés à la fois. Dans la Pensy-vanie, l’état voulut lui-même créer des chemins de fer, comme il avait déjà créé des canaux entre l’Ohio, l’Érié et la Susquehannah. L’affaire ne fut pas heureuse, car l’état, obéré par-delà ses ressources, en vint à ne pouvoir payer les intérêts de sa dette publique. Dans les autres états de l’est, les chemins de fer furent en général l’œuvre de petites compagnies locales, qui, secondées par des subventions du gouvernement et des villes, commençaient par des lignes de faible longueur, puis se soudaient les unes aux autres, et finissaient par se fusionner. Dans l’ouest, où les terres vagues sont la vraie richesse, puisque, aussitôt mises en culture, elles donnent en abondance le blé, le chanvre et le coton, les états ont favorisé la création des voies de communication en octroyant aux entrepreneurs de vastes surfaces incultes. Ainsi dans l’Illinois le congrès donne gratuitement aux compagnies des sections de 10 kilomètres de large sur chaque côté de la voie alternativement. Ce sont des terres qui valaient environ 2 dollars l’hectare avant l’établissement du chemin de fer, et qui montent à 15 ou 16 dollars dès que la locomotive les parcourt, parce que les populations y arrivent en foule. Peut-être les propriétaires des états situés de ce côté-ci des Alleghanys souffrent-ils un peu de cet exode incessant vers l’ouest du continent : leurs fermes sont abandonnées, leurs produits rencontrent sur les marchés la concurrence ruineuse des récoltes du far-west, mais les villes et surtout les ports de mer y trouvent leur profit.

En France, que les chemins de fer aient été construits aux frais du budget ou qu’ils soient l’œuvre de compagnies concessionnaires, que ces compagnies soient subventionnées ou réduites à leurs seules