Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’exception de quelques canaux, ils n’ont de concurrence que celle qu’ils se font entre eux, et, comme on verra, cette concurrence tourne rarement au profit du public. Ils se sont multipliés à tel point que les anciens états, malgré la faible densité de leur population, ont, à superficie égale, autant de voies ferrées que les contrées de l’Europe les mieux dotées sous ce rapport. Les états de l’ouest eux-mêmes n’ont pas une ville de quelque importance qui ne soit desservie par un chemin de fer. Villes et railways, tout se développe en même temps, et l’on serait embarrassé de dire quel est celui des deux qui est la conséquence de l’autre. Vers 1840, les Américains construisaient par an 800 kilomètres de voies de fer ; en 1860, la longueur des chemins exécutés était de 47,000 kilomètres ; la guerre de sécession suspendit pendant quelques aimées tous les travaux, puis on s’y remit avec une ardeur plus grande, En 1871, on ajoutait 10,000 kilomètres au réseau de l’Union, qui déjà ne comptait pas moins de 80,000 kilomètres.

Il faut le reconnaître, les travaux de ce genre ne coûtent pas aussi cher en Amérique qu’en Europe. Autant qu’on peut le savoir (et ce n’est pas facile, car les compagnies, qui ne sont soumises à aucun contrôle financier, ne révèlent pas volontiers les mystères de leurs livres de compte), les chemins de fer reviendraient à moins de 200,000 francs par kilomètre, matériel compris, tandis qu’en Europe le prix moyen est plus que double. Cependant la valeur relative de l’argent est moindre au-delà de l’Atlantique. Il est vrai de dire que les compagnies américaines ont rencontré des conditions éminemment favorables à l’économie de leurs devis ; d’abord le terrain leur est livré à titre gratuit, sauf aux abords des grands centres de population ; les chemins n’ont le plus souvent qu’une seule voie ; le bien-être et même la sécurité des voyageurs sont sacrifiés au bon marché ; enfin, lorsque les ingénieurs se trouvent en face d’obstacles sérieux, ils tournent la difficulté plutôt qu’ils ne la résolvent. Il semble tout naturel aux Américains de relier par un bac à vapeur les deux tronçons d’un chemin de fer que sépare une large rivière ; ne peuvent-ils se dispenser de faire un pont, un viaduc, ils le construisent en charpente. C’est ainsi que sur le New-York-Central, qui va d’Albany à Buffalo, les rails sont posés sur un pont en bois de 267 mètres de long et de 80 mètres de haut. Entre les mains des ingénieurs du Nouveau-Monde, le bois s’est plié à toutes les exigences ; il n’a pas pourtant acquis la durée, à quoi les Américains répondent qu’un tel viaduc ne leur revient qu’à 875,000 francs, — qu’en pierre il aurait coûté plus de 6 millions, — que par conséquent l’intérêt à 7 pour 100 de cette somme leur permettrait au besoin de renouveler leur construction