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Marcien, ou plus exactement Marcianus, était né en Thrace d’une famille militaire, suivant le mot des historiens, c’est-à-dire d’une famille qui suivait de père en fils la profession des armes dans une province perpétuellement menacée, où la guerre faisait la vie de chaque jour; sa carrière était ainsi marquée à l’avance, et son goût l’y portait, non moins que la tradition des siens. A peine donc avait-il atteint l’âge de servir, qu’il était allé se présenter à Philippopolis, où stationnait une légion. Les officiers de recrutement, charmés de sa bonne mine, de sa haute taille, de son air décidé, non-seulement l’admirent sans hésitation, mais au lieu de l’inscrire à la suite sur le registre matricule du corps, comme le voulait la règle pour tous les nouveaux arrivans, ils lui donnèrent une place d’un rang supérieur, laissée vide par la mort récente d’un soldat. Alors commença la série de pronostics dans lesquels on se plut à lire la fortune du jeune Marcien, quand l’événement eut prononcé. Le soldat qu’il remplaça par faveur sur le registre matricule se nommait Auguste, de sorte qu’il fut désigné dans la légion sous l’appellation de Marcien, dit Auguste, rapprochement fortuit qui sans doute alors ne frappa personne, mais devint plus tard une annonce manifeste de son avenir. Les indices les plus étranges semblaient suivre pas à pas ce favori de la destinée comme pour le signaler à son insu à de plus clairvoyans que lui. On raconte qu’étant encore simple soldat, et voyageant de Grèce en Asie pour rejoindre l’armée envoyée en 421 contre les Perses, il tomba malade et fut logé chez deux frères qui étaient devins. Ceux-ci ne tardèrent pas à découvrir en lui des signes de la plus haute fortune. « Quand vous serez empereur, lui dirent-ils un jour, quelle récompense nous donnerez-vous? — Je vous ferai patrices, répondit en riant le soldat, comme pour continuer une plaisanterie. — Partez donc, reprirent sérieusement ses hôtes : allez où le sort vous appelle, et souvenez-vous de nous. » L’histoire ne dit pas ce qu’il arriva des deux devins.

La plus célèbre de ces aventures prophétiques est celle qui le mit en rapport avec le roi des Vandales, Genséric, alors maître de Carthage. Il avait fait en qualité d’assesseur d’Aspar la désastreuse campagne de 431, où la flotte romaine fut détruite, et, tombé au pouvoir du vainqueur, il attendait avec une foule de captifs ce qu’on déciderait de sa vie. A l’heure de midi, ces malheureux se trouvaient dans une plaine sans arbres, et un soleil perpendiculaire dardait sur leur tête. Sous l’influence de cette chaleur accablante et de la fatigue de la route, Marcien s’étendit par terre et s’endormit. On vit alors se passer une scène extraordinaire rapportée par les historiens. Un aigle, qui planait au haut du ciel, s’abattit sur Marcien assoupi, et le couvrit de ses ailes qu’il agitait en volant comme pour lui procurer de la fraîcheur. Ce qu’apercevant Genséric de la terrasse de sa