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de sa vie. — Elle était, dit son mari, la beauté, la couleur, l’âme de notre petit monde ; des regards d’adoration la suivaient partout ; elle ajoutait à notre intérieur cette lumière et cette joie qu’apportent avec eux un tableau exquis, une délicieuse musique. Ma femme avait jusqu’à la perfection le goût de la toilette ; eût-elle vécu dans l’île de Robinson, sans personne pour la regarder que des perroquets, sans autre miroir qu’une flaque d’eau, elle se serait parée par amour du beau. Il fallait voir la poésie que cette entente raffinée de l’ornement prêtait à la vieille maison ! — La pauvre veuve du ministre, qui avec des goûts délicats innés a vécu dans l’ignorance forcée de ces menues recherches qui complètent la femme, s’intéresse aux brillans chiffons de sa jeune bru comme s’ils étaient une des fins principales de la création. En retour, elle est interrogée curieusement sur les mystères du ménage, comme pouvait l’être sur ceux d’Eleusis quelque vieille prêtresse par la néophyte. Les matrones qui assistent aux essais culinaires d’Eva trouvent à cette jeune reine des salons d’une capitale le génie du foyer. Elle l’a certainement. De retour à New-York, aux prises avec les difficultés de la vie matérielle, Éva se montre aussi industrieuse, économe et active que si elle n’eût pas été élevée dans la mollesse, et elle mêle à tout ce sérieux la dose de gaîté, voire de coquetterie féminine, qui fait de sa vaillance imprévue une grâce de plus. Les détails de l’installation du jeune couple ressemblent aux joyeux efforts de deux petits oiseaux occupés à bâtir leur nid. S’ils le trouvaient tout prêt, nous y perdrions le spectacle de leurs recherches, de leurs trouvailles, de leurs chants de triomphe, de l’adresse avec laquelle ils entremêlent les brins de paille et de mousse qui doivent être l’écrin douillet d’un trésor ; ils y perdraient pour leur part d’amusantes aventures, la joie du travail, l’orgueil de réussir et aussi la satisfaction d’avoir créé une œuvre personnelle. Les maisons comme les personnes ont leurs physionomies variées ; il y a des maisons vulgaires, des maisons qui attirent, des maisons mystérieuses, des maisons mélancoliques, de même qu’il y a des caractères de ces différentes nuances. Les fenêtres de certaines maisons semblent bâiller d’un air de paresse ou d’ennui, d’autres s’ouvrir d’un air de cordialité hospitalière. La maison d’Éva est toute chaleur et toute gaîté : elle est l’expression même des qualités de la fée qui l’habite ; elle ne ressemble à aucune. La simplicité de cette maisonnette éclipse, par le goût et l’esprit aimable qu’elle trahit, le faste des plus riches demeures ; — mais elle est dans un quartier excentrique, dans le voisinage immédiat de petites gens ; — mais il y manque beaucoup de choses qui pour les femmes du monde sont le nécessaire. Ces femmes-là plaignent Éva, ou la raillent, ne se