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premier acte d’indépendance. Un jour sa sœur aînée, en faisant le lit, découvre dans sa paillasse les hiéroglyphes qui représentent ses manuscrits, et le bout de chandelle à demi consumé. — Miséricorde ! s’écrie-t-elle avec beaucoup de bon sens, peut-on jamais assez se méfier des garçons ! Il a failli nous faire tous brûler vifs. — Mais la mère a vu au-delà. — Je vous en avais bien averti, dit-elle à son mari, que cet enfant nous rendrait fiers. Harry sera un écrivain.

— Il vous faut surveiller cela, répond le père, qui s’en remet, pour toutes ces choses, au tact exquis de cette femme supérieure. — Rentre-t-il de l’église ou d’une tournée de prêche, — où est votre mère ? — est sa première question. Il consulte sa compagne sur les travaux les plus ardus, les plus délicats du ministère ; il a coutume de dire : — Elle m’a fait par son influence. — Et qui donc a formé cette grande âme et ce noble esprit de mère ? Vous l’avez deviné : la Bible. Sur un pupitre, dans un coin retiré de la maison, est le saint livre toujours ouvert, et, quand l’écheveau de tant de chères existences qui sont sous sa garde paraît s’embrouiller, elle va droit à la main qui sait tout remettre en ordre. En présence de la mère selon Dieu, sans cesse occupée à répandre la vertu et le bonheur autour d’elle, médiatrice intelligente entre ses nombreux enfans, tenant compte pour les élever du caractère, des qualités propres à chacun, embellissant la pauvreté même d’un charme suprême qui émane d’elle, et qui fait jaillir les fleurs du paradis des plus rudes sentiers de la vie réelle, Mme Stowe se pose cette question : — l’influence de la maternité ne serait-elle pas précieuse dans l’administration publique et les affaires de l’état ? — L’état n’est ni plus ni moins qu’une réunion de familles ; ce qui est bon ou mauvais pour une famille en particulier doit donc être bon ou mauvais pour l’état. L’état, en ces jours troublés, réclame une influence paisible, telle que celle de mistress Henderson au sein de sa nombreuse famille, l’économie d’une femme pour appliquer sagement les ressources matérielles, sa puissance divinatrice pour amener à s’entendre les différentes races et les fondre dans un même amour, sa patience pour élever et instruire des êtres encore bien loin de la maturité, sa tendresse et sa miséricorde pour chercher et convertir les coupables ; mais les femmes du mérite de celle-ci ont généralement l’horreur de la vie publique, du combat, de tout ce qui les fait sortir de leur retraite sacrée. — Je suis cependant persuadée, dit Mme Stowe, que nous n’aurons les élémens d’une société parfaite que si ces femmes sentent peser sur elles, pour le bien de l’état, la responsabilité qu’elles ont acceptée déjà pour le bien de la famille. La nymphe Égérie, qui inspirait Numa, ne se montrait ni dans le Forum ni au sénat, elle n’élevait pas la voix dans les rues, elle ne combattait pas ostensiblement, aucun œil mortel ne la vit, et cependant elle fit les lois par