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poésie de l’existence. Cette histoire est donc vieille comme le premier chapitre de la Genèse : c’est Adam « stupide et désolé » sans Eve, comment il la cherche, comment il la rencontre ; seulement Adam s’appelle Harry Henderson, un Yankee des montagnes du nouveau Hampshire, aujourd’hui citoyen de New-York, et les événemens qui le conduisent au mariage le mettent aux prises avec toutes les questions où les intérêts de l’homme et de la femme se trouvent en jeu, soit séparés, soit confondus.

L’auteur nous fait d’abord assister aux scènes de l’enfance ; c’est certainement la partie la meilleure du roman, et nul ne peut s’en étonner qui se rappelle le charme tout particulier des figures d’Éva Saint-Clair, de Mara Pennel, et de tant d’autres jeunes êtres chez qui est délicatement observé l’éveil des passions, des vertus, des travers, des bonnes et des mauvaises dispositions de la nature humaine. Après avoir vu s’évanouir comme un nuage du matin la femme-enfant de Harry Henderson, nous nous égarons dans des régions plus saintes sans doute, mais non moins bizarres que celles où M. Michelet fait fleurir l’amour protecteur de la chasteté du jeune homme et flotter l’ombre de la fiancée, mentor invisible et charmant qui murmure à l’oreille de son futur époux : — Attends-moi !

Cette ombre de l’avenir est remplacée enfin par la femme réelle, dont la conquête aura été l’encouragement et l’espérance d’une jeunesse pure. « On a dit souvent combien il importe d’élever les femmes pour être des épouses ; est-il donc moins important d’élever les hommes pour être des maris ? La licence permise à la jeunesse de. l’homme le prépare-t-elle bien à être le compagnon intime d’une femme irréprochable ? Et pourtant depuis combien de siècles est-il convenu que l’homme et la femme se rencontrent dans le mariage, l’une pure comme le cristal, l’autre déjà souillé par des fanges de toute sorte ! Si l’homme est le chef de la femme, comme le Christ l’est de l’église, ne devrait-il pas être son égal au moins en pureté ? » Il y aurait certes beaucoup à répondre à ce raisonnement féminin ; mais les prédicateurs n’ont pas l’habitude d’être contredits : bornons-nous donc à l’analyse, et commençons par le premier point, puisqu’il plaît à Mme Stowe de diviser son roman comme un sermon. De trop nombreuses citations bibliques ajoutent à la ressemblance.


I

Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul, dit d’abord Harry Henderson, c’est une vérité qui s’est imprimée dans mon esprit dès ma plus tendre enfance ; je n’avais que sept ans lorsque je choisis