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particulier quand on met à la torture la conscience du simple et malheureux Molai, qui, n’ayant fait ni droit ni théologie, ne pouvait que se laisser prendre en ces interrogatoires captieux, c’est encore Nogaret qu’on rencontre jouant le rôle odieux d’accusateur perfide. Nul doute que plusieurs des fraudes et des déloyautés par lesquelles on arracha les aveux des frères n’aient été son ouvrage. En vain ces malheureux requièrent-ils l’éloignement des laïques qui, comme Nogaret, Plaisian, assistent illégalement aux débats pour intimider et gagner les témoins. Le for ecclésiastique n’avait plus de barrières, le procureur laïque y avait fait une pleine invasion. Le 28 novembre, Nogaret soutint à Molai qu’on lit dans les Chroniques de Saint-Denis que le grand-maître et les chevaliers du Temple avaient fait hommage à Saladin, et que ledit Saladin, entendant parler des malheurs des templiers, avait émis cette pensée que la cause de pareils malheurs était leur sodomie et leurs prévarications contre leur loi religieuse. Le pauvre Molai, stupéfait, répondit qu’il n’avait jamais rien entendu de semblable ; il finit en demandant aux commissaire et au « chancelier royal » qu’on lui permît d’entendre la messe. Nogaret surveillait tout, faisait amener et reconduire les prisonniers. En général du reste, ce furent les mêmes personnes qui conduisirent le procès contre Boniface et le procès contre les templiers. Sans admettre avec le père Tosti qu’une des causes de la ruine de l’ordre fut son attachement à la papauté, on doit reconnaître que les deux causes furent très étroitement liées, conduites exactement par les mêmes principes, dominées par les mêmes influences et les mêmes intérêts. Les accusations dressées contre l’ordre et celles qui bientôt vont être produites dans le procès d’Avignon contre Boniface paraissent avoir été conçues par la même imagination et écrites de la même main.

Le roi convoqua les états-généraux à Tours pour le mois de mai 1308, afin de se donner l’apparence d’être forcé par la nation à ce qu’il avait résolu de faire contre l’ordre du Temple. Nogaret joua là encore un rôle capital ; il s’était fait donner les procurations de huit des principaux seigneurs du Languedoc, Aymar de Poitiers, comte de Valentinois, Odilon de Guarin, seigneur de Tournel, Guérin de Châteauneuf, seigneur d’Apchier, Bermond, seigneur d’Uzès et d’Aymargues, Bernard Pelet, seigneur d’Alais et de Calmont, Amauri, vicomte de Narbonne, Bernard Jourdain, seigneur de l’Ile-Jourdain, et Louis de Poitiers, évêque de Viviers. C’est en amenant ainsi les pouvoirs des seigneurs et des villes à se concentrer en des mains toutes dévouées à la couronne que le roi sut arriver à ses fins, qui étaient d’émanciper l’état de l’église ; mais c’est aussi par ces délégations que l’on corrompit l’institution naissante des états-généraux, et qu’on en fit un instrument de despotisme. Les seigneurs