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souverain pontife, faute d’être bien renseigné, a détourné sa face de moi, si bien que ma cause, je dis mal, la cause de Christ et de la foi, est restée délaissée. Je suis déchiré par la gueule des fauteurs de l’erreur bonifacienne, à la grande honte de Dieu et au grave péril de l’église, ainsi que je suis prêt à le montrer au moyen de preuves irréfragables. Comme beaucoup de ces preuves pourraient périr par laps de temps, le roi, qui ne peut faillir à défendre un intérêt de foi, doit y pourvoir, vu surtout, sire, que je suis votre fidèle et votre homme-lige, et que vous êtes tenu de me garder la fidélité dans un si grand péril, comme je l’ai gardée à vous et à votre royaume. Le roi est mon juge, mon seigneur ; si je suis coupable, il doit faire que je sois puni légalement, si je suis innocent, il doit faire que je sois absous. Son devoir est de défendre ses sujets et ses fidèles, quand ils sont opprimés comme je le suis. » Il termine en priant le roi de lui procurer une audience du pape. Cette affaire n’eut pour le moment aucune suite. La politique de Clément consistait à savoir attendre. Il voyait que, s’il faisait continuer l’action intentée par Benoît contre les auteurs du sacrilège d’Anagni, il relevait du même coup l’horrible scandale du procès de Boniface. Il n’ignorait pas le cloaque infect de crimes sans nom où les accusés étaient décidés, si on les poussait à bout, à traîner le cadavre du pontife décédé.

Nogaret, non absous, mais non condamné, continua de compter parmi les membres les plus actifs et les plus influens du conseil de la couronne. Nous le voyons mêlé aux plus grandes affaires et accompagnant sans cesse le roi. En 1305, il prend possession de la ville de Figeac au nom du roi. Dans l’acte du pariage du chapitre de Saint-Yrieix avec le roi de l’an 1307, Nogaret stipule également pour le roi. Le registre des Olim nous le montre quatre fois en 1306 faisant l’enquête ou le rapport en des procès difficiles et participant à la réforme d’excès graves. On voit clairement qu’à cette date il n’avait pas la garde du sceau, et qu’il ne l’avait pas eue auparavant. Durant l’été de 1306, il remplit un triste mandat. Le 21 juin de cette année, le roi donne commission secrète à Nogaret, au sénéchal de Toulouse et à Jean de Saint-Just, chantre de l’église d’Albi, touchant quelques affaires qu’il leur avait expliquées oralement, avec ordre aux prélats, barons, etc., de leur obéir. Cette commission regardait les juifs, qui furent tous arrêtés dans le royaume le 22 juillet suivant ; le secret fut si bien gardé qu’il n’en échappa aucun. Tous furent chassés, et leurs biens confisqués au profit du roi. Nogaret et Jean de Saint-Just ayant été appelés à la cour pour le service du roi, substituèrent en leur place, dans la sénéchaussée de Toulouse, le 23 novembre 1306, trois bourgeois de Toulouse. On voit ici une application des pratiques judiciaires occultes et terribles