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conduite du nouveau pontife jusqu’à la conclusion de l’affaire, en 1311, est celle d’un homme poursuivi par des promesses antérieures, qu’il met toute son habileté à éluder. A force de ruses, il va gagner cinq années, et finalement nous le verrons écarter, en cédant sur tout le reste, un débat où était engagé l’avenir de la papauté. Il est difficile de croire en effet que cette institution eût gardé son prestige, si l’église elle-même eût proclamé qu’un suppôt de Satan avait pu pendant neuf ans tromper le monde et passer pour le dispensateur des grâces du ciel.

La question de la condamnation de la mémoire de Boniface et celle de l’absolution de Nogaret n’en faisaient qu’une, puisque Nogaret n’avait qu’un seul moyen de défense, qui était de soutenir que les crimes de Boniface avaient nécessité et légitimé sa conduite. Son premier soin, après l’élection de Clément, fut de poursuivre le double but qui s’imposait à sa vie avec une fatalité terrible. Des démarches directes, qu’il fit auprès de Clément, restèrent sans réponse. Alors il adressa au roi une nouvelle requête dont le texte nous a été conservé, et qui répète à beaucoup d’égards les apologies de l’an 1304. Larron et non pasteur, parfait hérétique, qui avait réussi à rester longtemps caché, Boniface était de plus le destructeur du roi légitime de France. Dans une telle situation, un retard d’un jour était un irréparable dommage ; alors Nogaret s’est levé, sans autre appui que l’autorité légitime, c’est-à-dire les fidèles, les dévoués sujets de l’église romaine, que Boniface tenait captive. Eût-il été un vrai pasteur, il fallait en tout cas l’arrêter comme fou furieux, puisqu’il sévissait contre lui-même et contre le peuple de Dieu. « Le pape Benoît, d’heureuse mémoire, ignorant mon zèle et la justice de ma cause, trompé qu’il était par les fauteurs des erreurs dudit Boniface, irrités contre moi et contre ceux, qui avaient collaboré avec moi à l’œuvre de Christ (le saint-père les appelait mes complices), nous cita indûment (sauf le respect dû à Sainte Mère Église) à comparaître devant lui. Son décès, qui survint bientôt après, m’empêcha de me rendre à sa citation. Je publiai donc régulièrement mes défenses devant vous, mon seigneur et juge temporel, et devant l’official de Paris, plusieurs empêchemens me rendant impossible de me rendre auprès du siège vacant. Maintenant qu’il a été pourvu au gouvernement de Sainte Mère Église par la personne du saint père Clément, je n’ai cessé de chercher les moyens d’aller me défendre devant lui, pour l’honneur de Dieu, de Sainte Mère Église, et le salut de ceux qui, ne se rendant pas compte de la justice de ma cause, sont scandalisés à mon sujet et mis en danger de perdre leur âme, prêt, si, ce qu’à Dieu ne plaise, j’étais trouvé coupable en quelque chose, à recevoir une pénitence salutaire et à obéir humblement aux mandemens de Sainte Église. Le