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d’être un scandale pour les gens simples, et que sa considération ne soit pas atteinte.

Toutes ces démarches restèrent sans résultat ; néanmoins la victoire du roi et de Nogaret se consolidait. La papauté s’affaiblissait de jour en jour. Les rangs des défenseurs de Boniface s’éclaircissaient ; les Colonnes, quoiqu’ayant reçu de Benoît XI d’amples satisfactions, s’acharnaient toujours sur la mémoire de leur ennemi. Pierre Colonna envoyait vers ce temps au roi une liste de faits d’hérésie et d’impiété qu’il mettait sur le compte de Boniface, et dont il se déclarait en mesure de fournir la preuve.

Nogaret suivait jour par jour les intrigues qui remplirent les onze mois que dura la vacance du saint-siège. Un acte notarié daté de Pérouse, 14 avril 1305, nous montre une ambassade du roi de France composée de frère Ithier de Nanteuil, prieur de Saint-Jean de Jérusalem en France, de Geoffroi du Plessis, chancelier de l’église de Tours et protonotaire de France, et de Jean Mouchet, arrivant à Pérouse. Les Pérousins croient que ces envoyés du roi viennent pour procéder contre la mémoire de Boniface et pour récuser les cardinaux créés par lui, conformément à la protestation de Nogaret du 12 septembre 1304, dont on pouvait avoir eu connaissance en Italie. Les envoyés du roi répondent qu’ils ne sont venus pour aucune brigue ni schisme, mais pour l’utilité de l’église universelle, aussi bien que de la commune de Pérouse, et pour presser l’issue du conclave. On leur demanda une réponse plus claire ; ils n’en firent que d’évasives. Leur vraie réponse fut l’élection du 5 juin, laquelle mit la tiare de Grégoire VII, d’Innocent III et de Boniface VIII sur la tête d’un Gascon, courtisan habile, sans élévation de caractère, léger de conscience, acquis d’avance à une politique de faiblesse et de transactions.


III

L’élection de Clément V dut être aussi agréable à Nogaret qu’à Philippe. Aux indulgences empressées de Benoît XI allaient succéder les complaisances avouées de Clément. Le souverain qui avait emprisonné, presque fait mourir un pape, après avoir été ménagé tendrement par son successeur immédiat, nommait maintenant son second successeur. Villani raconte qu’un des articles du prétendu pacte conclu entre le roi et le futur pontife dans l’entrevue de Saint-Jean-d’Angéli fut la condamnation de la mémoire de Boniface. La réalité d’une telle entrevue est plus que douteuse ; mais Clément paraît bien, lors de son élection, avoir pris à cet égard des engagemens, et lui-même avoua plus tard que le roi lui en avait parlé à Lyon, lors de son couronnement (14 novembre 1305). Toute la