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cela fut impossible à cause de son entêtement et de la résistance des siens. Nous fûmes donc obligés de procéder par agression guerrière, ne pouvant faire autrement. Entré dans la maison dudit Boniface, je lui notifiai avec soin toute la procédure, en présence desdits nobles, lui montrai qu’il était contumace, et lui expliquai que j’étais venu pour l’empêcher d’accomplir toutes les méchancetés qu’il avait préparées. Et comme il ne voulait pas venir de bon gré au jugement, je voulais le sauver de la mort pour le présenter à la barre du concile général. Pas mal de gens avaient soif de son sang ; mais moi, je le défendis, lui et les siens… Au milieu de ce tumulte, si, comme on dit, il se fit des vols considérables dans le trésor et les meubles dudit Boniface, ce fut malgré mes ordres, et bien que je misse tout le soin possible à faire bonne garde ; mais je ne pouvais pourvoir à tout, car je n’avais avec moi que deux jeunes gens de mon pays ; tous les autres, à l’exception d’un petit nombre, m’étaient inconnus. Voilà pourquoi je ne pus veiller comme je l’aurais voulu sur le trésor ; au moins tout ce qui en fut sauvé le fut par moi. Je ne touchai point à la personne du pape, et je ne souffris pas qu’on y touchât ; je maintins autour de lui une escorte décente ; pour écarter de lui tout péril de mort, je ne permis pas à d’autres qu’à ses serviteurs de lui servir à manger et à boire. »

Tel est le tour que Nogaret était arrivé à donner à sa scandaleuse entreprise. Abordant ensuite l’affaire du pape Célestin, il montre comment Boniface avait trompé le saint ermite. Loin d’être un pasteur, Boniface a été un vrai larron. Par de nombreux textes de l’Écriture, par des exemples tirés de l’histoire sainte, Nogaret établit qu’on peut et doit châtier les prélats qui se conduisent mal. Boniface ne lui avait fait aucune injure personnelle ; c’est Dieu seul qui l’a excité contre ce mauvais pape. Il a eu recours, pour exécuter sa mission, au pouvoir légitime, au capitaine et au peuple d’Anagni, aux barons de la campagne de Rome ; il termine en se plaignant de la procédure du pape Benoît, surtout en ce qui concerne le vol du trésor. Après tout, le vrai coupable a été celui qui avait accumulé ce trésor par tant de mauvais moyens. Le pape Benoît d’ailleurs avait été mal élu, et sa bulle Flagitiosum scelus est pleine d’injustices par erreur involontaire. Que le saint-siège fournisse les facilités nécessaires pour la suite du procès ; il démontrera, lui, Nogaret, les crimes énormes de Boniface et sa propre innocence. Et comme pour le moment il ne peut se rendre auprès du saint-siège, à cause des haines accumulées contre lui, il demande, bien qu’il ne soit sous le coup d’aucune peine canonique, l’absolution ad cautelam, soit du saint-siège, soit de l’ordinaire, afin qu’il puisse poursuivre son action contre Boniface, qu’il cesse