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le jour le plus défavorable. Les récits qui s’étaient répandus de ce fait avaient excité, même en France, une désapprobation universelle. Charles de Valois et d’autres princes du sang étaient irrités contre les légistes qui avaient conseillé de pareilles violences. Le clergé n’attendait qu’une occasion pour éclater, et murmurait hautement. Nogaret remit au roi comme à son juge naturel un mémoire justificatif, et demanda qu’on voulût bien l’admettre à la preuve. Mais le roi s’arrêta ; le procès impliquait en effet l’hérésie de Boniface et l’illégitimité de son titre papal, « enquête qui, bien qu’incidente dans ma cause, appartient plus à l’église qu’au roi, » dit Nogaret. Par ce retour habile, il colorait le refus que Philippe paraît avoir opposé à sa requête. S’il avait pu tirer du roi comme juge temporel un arrêt constatant son innocence, cela lui aurait certainement suffi. Il ne réussit pas à obtenir cette sauvegarde. Quand on songe à la dureté des temps, au caractère de Philippe le Bel et des princes du sang à cette époque, on est pourtant surpris de l’espèce de loyauté avec laquelle le roi soutint son agent. C’est merveille que le sacrifice de Nogaret n’ait pas été la condition de la paix entre le pape et le roi, que ce dernier ne l’ait pas désavoué comme mauvais conseiller, n’ait pas déclaré qu’il avait agi sans autorisation, et n’ait pas rejeté sur lui tous les torts. Il faut louer Philippe de la fidélité avec laquelle il protégea les ministres de sa politique. Il n’en sacrifia aucun aux jalousies qu’allumait à cette époque la fortune de tout parvenu. Les rancunes qu’avait excitées Enguerrand de Marigni ne purent se satisfaire qu’après la mort du roi.

Nogaret cependant ne cessait d’agir en cour de Rome pour obtenir son pardon, ou, comme il disait, pour prouver son innocence. A Rome, plusieurs fois, à Viterbe, à Pérouse, le pape fut sollicité en sa faveur par les personnes les plus éminentes de l’église, dont quelques-unes parlaient au nom du roi. Tout fut inutile. Le refus d’absolution ne suffit même pas à Benoît : quelques semaines après avoir absous le roi, cause première de tout le mal, il entreprit une poursuite canonique contre ceux qui n’avaient été que ses agens. Par la bulle Flagitiosum scelus, datée de Pérouse et publiée le 7 juin, il désigna solennellement à la vindicte de la chrétienté ceux qui avaient pris part au crime commis sous ses yeux, aux violences exercées sur la personne de Boniface et au vol du trésor de l’église. En tête de « ces fils de perdition, de ces premiers-nés de Satan, » est Nogaret, puis viennent Rainaldo da Supino, son fils, son frère, Sciarra Colonna et douze autres. Le pape les assigne devant son tribunal avant la Saint-Pierre (29 juin) pour y entendre ce qu’il ordonnera. La rhétorique pontificale ne se refusa aucune de ses figures habituelles pour exciter l’horreur contre « le crime