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Benoît. Ce dernier commençait à sortir de l’espèce de stupeur où l’avait plongé la scène d’Anagni. Il accueillit l’ambassade, et refusa de voir Nogaret. Si le pape eût consenti à négocier avec lui, c’était la preuve qu’il était libre de toute excommunication, le pape ne pouvant traiter avec un excommunié. Le refus de Benoît, au contraire, plaçait Nogaret sous le coup des plus terribles anathèmes, et l’obligeait à solliciter l’absolution pour sa campagne de 1303. Solliciter l’absolution, c’était s’avouer coupable ; s’avouer coupable, c’était s’exposer au sort le plus cruel. Il fit donc prier le pape de lui donner ce qu’on appelait l’absolution ad cautelam, c’est-à-dire l’absolution qu’on demandait pour plus de sûreté de conscience, et qui n’impliquait pas la réalité du crime dont on était absous. Benoît refusa encore. Le 2 avril 1304, le roi fut relevé des censures qu’il pouvait avoir encourues, et il fut dit qu’il l’était sans qu’il l’eût demandé. Une bulle du 13 mai annula toutes les sentences de Boniface contre le roi, son royaume, ses conseillers et officiers, et rétablit tous les Français dans l’état où ils étaient avant la lutte ; Guillaume de Nogaret était excepté. Par une autre bulle du même jour, le pape dégage tous prélats, ecclésiastiques, barons, nobles et autres du royaume des excommunications contre eux prononcées, excepté encore Nogaret, dont il se réserve l’absolution. Ceci était fort grave. La diplomatie de Nogaret avait échoué ; sa position civile restait celle de l’excommunié, ce qui équivalait à être hors la loi. Sa fortune était sans solidité, sa vie en danger. Pour secouer l’anathème, il lui faudra sept années de luttes et de subtiles procédures. Nous allons le voir y déployer parfois beaucoup de science et d’éloquence, toujours une rare souplesse et des ressources d’esprit infinies.

Un passage des plaidoiries de Nogaret écrites en 1310 ferait supposer que l’ambassade de 1304 requit Benoît XI de continuer par lui-même ou par le concile le procès contre Boniface intenté en 1303 ; mais Nogaret avait alors besoin pour sa thèse que le procès d’Avignon en 1310 fût la suite de celui qu’il avait commencé à l’assemblée du Louvre le 12 mars 1303. Il se peut que sur ce point il ait présenté les faits sous un jour inexact. Nogaret ne s’attaqua avec frénésie à la mémoire de Boniface que quand il vit qu’il n’y avait pour lui qu’une seule planche de salut, c’était de susciter contre la papauté un procès scandaleux, et de mettre la cour de Rome dans une situation telle qu’elle se crût heureuse de lui accorder son absolution pour prix de son désistement.

Nogaret devança par un prompt retour l’arrivée en France des bulles qui absolvaient tout le monde excepté lui. Sa position devenait fort difficile à la cour. Il avait des ennemis, qui cherchaient à animer le roi contre lui et à présenter l’incident d’Anagni sous