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désireuse avant tout de nous faire honneur. Les salves de mousqueterie dont elle nous accompagnait depuis notre départ nous suivirent jusqu’aux portes de Cattaro. Nous traversâmes la ville, nos guides furent obligés d’en faire le tour ; on ne les y eût pas laissés pénétrer sans les inviter à déposer leurs armes à la porte. Cette précaution blessante n’est pas l’effet de la politique soupçonneuse de l’Autriche, elle remonte à une autre époque. Venise et le Monténégro ne pouvaient se passer l’un de l’autre, Cattaro était le seul marché où les Monténégrins échangeaient leurs moutons contre du blé ou contre de la poudre. Plus d’une fois cependant leur turbulence fit de ce marché, qui se tenait en dehors de la ville, le théâtre de sanglantes querelles. Cattaro fermait alors ses portes, la garnison courait à ses coulevrines, et quelques décharges d’artillerie dispersaient les Monténégrins ; mais ceux-ci à leur tour ne tardaient pas à mettre Cattaro en état de blocus. Des rochers qui surplombent la ville, ils fusillaient sans relâche tout ce qui osait se montrer sur les remparts. Au bout de quelques jours intervenait un accommodement, promettant l’oubli du passé, et se préoccupant peu de trouver des garanties impossibles pour l’avenir.

Les côtes de la Dalmatie fournissent à l’Autriche d’excellens marins, et parmi ces marins il faut mettre en première ligne les Bocchesi du cercle de Cattaro, descendans de ces rudes Esclavons qui montaient autrefois les galères de Venise. Les Bocchesi sont tous par l’origine, s’ils ne le sont plus par les mœurs, un peu Monténégrins. Questi Montenerini, — c’est ainsi que, pendant le blocus de Venise, les marins italiens nous désignaient les marins dalmates, — ont avec leurs frères de la Czernagora de tels rapports de race, de religion, de langage, que la fusion se fût facilement opérée, si, le jour où le général Gautier remit Cattaro aux mains du vladika Saint-Pierre, la politique eût ratifié cette conquête. L’empereur Alexandre en avait ordonné autrement ; ce fut sur son injonction que les Monténégrins durent céder à l’Autriche le bassin qui leur ouvrait un si large accès à la mer. L’abandon de ce territoire est resté pour le Monténégro un sujet d’éternels regrets. Aucune puissance, il faut bien le dire, ne saurait s’asseoir sur les bords de l’Adriatique sans gêner l’expansion de la race serbe. Si jamais l’Autriche devait évacuer l’étroite bande de terre qui, de Stagno à Budua, longe les états du sultan, ses héritiers naturels seraient les Monténégrins. Il est dans les destinées de la race serbe d’empêcher l’Adriatique de devenir une mer fermée. La journée de Lissa n’a pas été le choc d’une flotte allemande contre une flotte italienne. Ce sont les Esclavons qui ont une fois encore vaincu les Génois.

J’avais visité Cettigné au mois de juin. Je ne quittai le port de