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bachi-bozouks n’avaient pas laissé de foyer. Les uscoques formaient une population flottante qui errait généralement sur les frontières, et finissait presque toujours par s’y fixer. Quelquefois des familles émigraient en masse avec leurs richesses et leurs troupeaux. C’est ainsi qu’au temps des premiers vladikas les Petrovitch quittèrent l’Herzégovine, et vinrent fonder non loin de Cettigné le village de Niegosch. Cette famille eut bientôt acquis dans les conseils une grande prépondérance. Les Radonitch seuls, investis des fonctions de « gouverneur civil, » auraient pu la leur disputer, mais l’ascendant des Petrovitch Niegosch se trouva définitivement établi le jour où le peuple du Monténégro eut choisi parmi eux son chef ecclésiastique.

A dater de ce moment, une nouvelle période historique semble s’ouvrir. La dignité de vladika devient héréditaire. L’évêque choisit parmi ses neveux celui qu’il juge le plus digne de lui succéder. Battue de tous côtés en brèche, la domination ottomane perd de tous côtés du terrain. Pendant que la Servie refoule les Turcs dans l’enceinte de Belgrade, que la vie nationale renaît dans ses campagnes, les Petrovitch reprennent lambeau par lambeau le vieux duché. L’autorité du vladika ne s’étend plus seulement à l’ouest de la vallée des Bielopavlitch ; elle embrasse aussi les districts qui se prolongent, à l’est de la Zêta, jusqu’aux terres cultivées par les Kutchi. Quand le vladika appelle ses sujets aux armes, ce n’est pas uniquement aux Monténégrins qu’il s’adresse ; ce sont les habitans du Monténégro et des fertiles Berdas qu’il convoque. La marée a rebroussé chemin.

Toute dynastie a emprunté son prestige à un personnage que l’imagination populaire s’est plu à entourer d’un éclat presque surnaturel. La dynastie des Petrovitch doit son influence, je serais tenté de dire sa légitimité, au grand vladika qui régna cinquante ans sur le Monténégro, et qui, après avoir détruit au combat de Krouché l’armée de Kara-Mahmoud, eut l’honneur de se mesurer avec les Français dans le temps où les armées impériales occupaient les provinces illyriennes. Ce vaillant évêque était à la fois un guerrier et un saint. Les Serbes prêtent encore serment sur ses reliques. Son successeur fut un poète. Pierre Ier avait doublé le territoire de ses états ; Pierre II en vendit plus d’une fois des parcelles à l’Autriche. Toujours à court d’argent, malgré le subside annuel que lui envoyait la Russie, Pierre II voyagea beaucoup ; il composa des piezmas et les fit imprimer, créa un sénat rétribué, des capitaines de nahias et des perianiks, plaça sur le bonnet des uns l’aigle d’or à deux têtes, se contenta de distinguer les autres, simples gardes du corps, par l’aigle d’argent, et introduisit ainsi au sein de la montagne les premiers rudimens de la hiérarchie