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puissances plus de craintes et de rancunes que dans les partis de l’intérieur. Malgré ses précautions pour ménager leurs susceptibilités, les projets de Napoléon III n’avaient pu manquer d’inquiéter tous les états de l’Europe, tous plus ou moins directement menacés. Les incertitudes de sa politique n’avaient fait qu’augmenter les méfiances des cabinets, ses essais de compromis que lui enlever l’alliance des puissances qui avaient profité de son appui. En Italie, avec ses tergiversations sur la question romaine, avec l’expédition de Mentana, l’empire avait perdu le bénéfice de Solferino. Selon le mot d’un Italien, Mentana avait tué : Magenta. En Allemagne, avec ses restrictions formelles ou implicites, avec son veto sur la ligne du Mein, il avait perdu le profit de ses premières connivences avec la Prusse. Ses tentatives en faveur de la Pologne, pendant la grande insurrection de 1863 n’avaient servi qu’à lui aliéner la Russie, ses menées successives et presque simultanées avec la Prusse et l’Autriche qu’à soulever les défiances de l’Allemagne, des petits états du centre de l’Europe et de l’Angleterre, toujours soupçonneuse au sujet de la Belgique et du Rhin. Au lieu de disposer les puissances étrangères à notre alliance ; nous les avions presque toutes blessées dans leur orgueil ou leurs intérêts ; nous en avions même intéressé plusieurs à notre défaite, la Russie sur la Mer-Noire par le traité qui lui défendait de relever Sébastopol et ses flottes, l’Italie à Rome par notre éternelle occupation qui lui interdisait sa capitale. Grâce à ses demi-mesures et à ses réticences, à ses volte-faces, et à ses hésitations qui prenaient l’aspect de la duplicité, l’empire dérouté par les inquiétudes de la France, l’avait partout isolée en Europe. Elle restait seule, à la fois présomptueuse et mécontente, sans direction, sans politique, exposée à tous les hasards des décisions passionnées.


V

Pendant que la politique française se perdait en tâtonnemens, les peuples voisins prenaient de plus en plus conscience d’eux-mêmes, de leur volonté et de leurs forces ; Leurs exigences croissaient avec le succès. Fiers de la constitution de leur unité, ils se montraient de moins en moins disposés à en payer la rançon à la France, de plus en plus enclins à l’achever sans elle et au besoin malgré elle. Élevé dans l’exil, Napoléon III. connaissait l’étranger beaucoup mieux que la plupart des Français si ignorans à cet égard. Il était un des rares politiques de France qui sussent faire entrer dans leurs calculs les sentimens des autres peuples, mais, depuis qu’il s’était emparé du pouvoir, Napoléon III n’avait pu se tenir par lui-même au