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gouvernemens n’a pu depuis lors se soustraire complètement à cette tyrannie des affaires intérieures sur celles du dehors ; aucun n’a su toujours résister à la tentation d’échapper par les unes aux embarras des autres. Tous ont cherché à l’étranger d’utiles diversions, la restauration dans ses trois campagnes d’Espagne, de Grèce et d’Alger, le gouvernement de juillet lui-même, celui de tous qui a le moins cédé à ce penchant, dans sa conquête de l’Algérie, dans ses expéditions maritimes, dans ses négociations pour la Belgique, l’Orient et l’Espagne. Ce mal, un des legs de la révolution, était bien plus sensible sous le second empire. Les souvenirs de Napoléon Ier exaltaient les prétentions de l’opinion ; le manque de liberté exigeait des diversions plus fréquentes et plus brillantes. C’était là un des principaux défauts du césarisme.

Le césarisme était contraint de faire toujours quelque chose. Il lui fallait écraser le gouvernement parlementaire sous le poids des succès de l’empire. Il s’y était condamné lui-même ; l’empereur et ses ministres s’y obligeaient sans cesse en affichant pour la modeste attitude des régimes déchus un dédain imprudent, en opposant à chaque occasion à la prétendue stérilité du gouvernement des chambres les triomphes de Crimée et de Lombardie. De là une politique d’apparat faite pour en imposer aux yeux, de là difficulté de se prêter à certaines nécessités alors même qu’on les apercevait, de se résigner à un rôle moins brillant que celui entrevu dans les premiers rêves. Il fallait que l’empire français parût toujours tenir en Europe une place prédominante, que, selon le mot d’un plaisant ou d’un fou, un souverain du nom de Napoléon gardât toujours l’air d’une sorte d’archi-empereur. Toutes les transformations de l’Europe devaient paraître le résultat de sa volonté ou de sa permission. Rien ne pouvait être fait à son insu, rien surtout malgré lui. C’était là une vieille prétention de la France ; non content de l’encourager, l’empire s’était engagé à en faire une réalité. Pour le succès des affaires intérieures, il fallait que la gloire du souverain fût sans cesse remise sous les yeux du peuple, et que rien ne semblât l’obscurcir. Sous les césars de Rome, tout tournait à la gloire du prince, lui seul triomphait des ennemis que ses généraux avaient battus ; au besoin, on lui inventait des conquêtes imaginaires. Il y a dans tout césarisme, dans toute monarchie absolue, une part de charlatanisme ; le bruit et l’éclat en sont des élémens indispensables. L’empire était le gouvernement du prestige. A défaut de grandeur, il lui en fallait les dehors. Si Napoléon III paraissait l’oublier, si chez lui l’homme moderne semblait près de l’emporter, il y avait des conseillers pour le rappeler à son rôle de césar. « Sire, faites grand ! » lui criait un confident des dernières années, au moment même où l’empire inclinait à se transformer