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une chute pareille. Cette idée eut sur lui une influence funeste. Il se promit de prendre le contre-pied de Louis-Philippe, et de ne rien craindre autant que de paraître faire obstacle au sentiment national. Peut-être n’eut-il pas d’autre dessein en se laissant si vite glisser dans la guerre en 1870 ; peut-être le souvenir de l’affaire Pritchard, si durement reprochée au gouvernement de juillet, fut-il pour beaucoup dans les susceptibilités et les téméraires exigences de l’empire sur la question Hohenzollern.

Les conceptions politiques sont inspirées aux hommes par leur origine, par leur éducation et aussi par leur caractère : chez les princes, elles sont le plus souvent imposées par la tradition. La politique rêvée par Napoléon III était essentiellement une politique de famille. De race italienne, à demi Italiens ou mieux à demi cosmopolites eux-mêmes, l’éducation aussi bien que l’origine des Bonaparte les prédestinait à la politique de nationalités. Pendant leurs pérégrinations d’exil de 1830 à 1848, entre ces deux révolutions européennes dont à l’étranger l’idée nationale fut l’idée-mère, ils avaient été témoins des souffrances ou des aspirations des peuples dont ils étaient les hôtes. Ils les avaient partagées et à diverses reprises avaient tenté d’y associer leur fortune. Dès 1815, Murat se mettait en relation avec les patriotes du nord de l’Italie, et, devinant le succès réservé dans la péninsule au souverain qui saurait embrasser la cause nationale, il tentait de faire jouer à Naples le rôle qui a si bien réussi au Piémont. Vers la fin de la restauration, les deux fils de la reine Hortense, à peine arrivés à l’âge d’homme, songeaient à passer en Grèce pour y prendre part à la guerre d’indépendance, ou, rêvant déjà ligue néo-latine et régénération hispanique, ils projetaient de s’engager dans les luttes de l’Espagne[1]. En 1831, les vœux des patriotes italiens les appelaient à l’insurrection des Romagnes contre l’Autriche et le pape. On sait comment ce mouvement prématuré coûta la vie au frère aîné du futur empereur, et quelles feintes employa la reine Hortense pour dérober ce dernier aux poursuites autrichiennes. Les fils de Lucien et de Jérôme cédaient au même courant d’idées que leurs cousins. En 1849, le prince de Canino présidait la constituante de la république romaine, et le prince Napoléon s’est toujours montré l’un des partisans les plus décidés, des défenseurs les plus fougueux de cette politique de nationalités à laquelle 1815 avait voué sa famille.

Ces idées, pour ainsi dire innées chez les Bonaparte, n’étaient pas étrangères à leurs conseillers. On les retrouve, vers le début

  1. Les Bonaparte depuis 1810 ; Bruxelles 1847. — La reine Hortense en Italie, en France et en Angleterre pendant l’année 1831 ; Paris 1861.