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ne voulut pas que son corps fût transporté à Constantinople dans cette basilique des Saints-Apôtres, sépulture des princes de sa race. Qu’eût-elle fait, morte, dans la ville impériale ? Elle n’y eût plus trouvé personne des siens pour la pleurer ; Marcien lui-même l’avait précédée dans la tombe, et ses filles, qui vivaient encore, étaient captives des Vandales. Ses restes mortels, suivant sa volonté, furent déposés aux portes de Jérusalem, dans l’église du premier martyr Etienne, son œuvre inachevée. On raconte qu’à son lit de mort, quand les actes de sa vie repassaient dans sa mémoire comme des images prêtes à s’éteindre, le souvenir de Paulinus lui revint, cette victime infortunée des soupçons de son mari, et en face du juge suprême qui l’attendait elle affirma que son affection pour cet ami de sa jeunesse avait toujours été sans reproche.

Ainsi disparaît de l’histoire la gracieuse princesse qui avait jeté tant de charme un instant sur le règne de Théodose II par sa beauté et par son génie. Personne ne présenta jamais plus de contrastes dans sa vie que cette Athénienne, citoyenne de la terre-sainte, cette fille de rhéteur élevée sur un trône, ce poète, chef de guerre civile pour une question de théologie. Avec son imagination poétique, elle avait transporté dans sa nouvelle religion quelque chose des instincts superstitieux de l’ancienne. On eût dit qu’elle voulait reposer dans la cité sainte pour que les anges du Calvaire lui servissent d’abri contre les dieux qu’elle avait quittés, et qui régnaient toujours sur sa patrie.

Quant à l’eutychianisme, vaincu en Palestine par la défaite de Théodosius, il se maintenait vivace en Égypte, et çà et là dans les provinces voisines de l’Arabie et de la Perse. La mort de Dioscore, décédé à Gangres, en Paphlagonie, dans la troisième année de son exil, ne découragea point ses partisans ; tout au contraire ils le proclamèrent martyr, et quelques livres qui restaient de lui furent honorés à l’égal de l’Évangile. Sa faction devint dominante en Égypte, et le meurtre de Protérius fut le signal de ce triomphe. Le moine Timothée Elure, qui le tua et profana son cadavre, occupa sa chaire ensanglantée, et il eut pour successeur Pierre Mongus, autre meurtrier, et l’un de ceux qui frappèrent l’archevêque Flavien au brigandage d’Éphèse. Le siège des Clément et des Athanase semblait devenu de patrimoine des assassins, dignes pasteurs en effet de l’église de saint Dioscore !


AMEDEE THIERRY.