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cette garnison indisciplinée avec laquelle il leur avait fallu traiter. Les gens de guerre reçurent des logis dans les couvens, et les cloîtres furent transformés en écuries pour les chevaux : les moines eurent beau murmurer et se plaindre, Dorothéus les laissa crier, trouvant qu’il avait déjà beaucoup fait en épargnant leur vie. Ils furent réduits à réclamer auprès de l’impératrice Pulchérie, qu’ils regardaient comme l’auteur principal de leur défaite. Juvénal, profitant de ce changement de face dans les affaires, s’était sauvé de la ville, et, gagnant en toute hâte Constantinople, il mit Pulchérie et Marcien au courant de ce qui s’était passé et de ce qui se passait encore, car l’usurpateur de son siège l’occupait toujours en vertu de la convention. Il s’y maintint même pendant vingt mois.

Marcien reçut donc presque à la fois le rapport verbal de l’évêque Juvénal, le rapport écrit du gouverneur et la requête que les moines palestins adressaient à Pulchérie. Cette requête était conçue en termes hautains, presque insolens, et convenait moins à des supplians qu’à des séditieux opiniâtres. Ils s’y plaignaient amèrement des mauvais traitemens qu’il leur fallait subir. Le gouverneur, disaient-ils, transformait leurs monastères en cantonnemens pour ses soldats, sans crainte de troubler la paix de leurs oratoires ; il osait même changer leurs saints cloîtres en écuries pour les chevaux. Ils s’y disculpaient de toute responsabilité dans les désordres dont la ville avait souffert, les attribuant aux habitans eux-mêmes et à quelques étrangers qui se conduisaient en maîtres dans la ville. Cela posé, les requérans se mettaient à disserter sur les dogmes, disant que l’expression de deux natures en la personne de Jésus-Christ les avait troublés et épouvantés, et qu’il fallait bien se défendre de parler de la nature de Dieu. Quant à eux, ajoutaient-ils, jamais ils ne reconnaîtraient un concile qui obligeait de croire à deux Christs, deux fils, deux personnes du Verbe divin, et tout en accusant le concile ils jetaient des soupçons d’hérésie sur la croyance des deux Augustes. Irrité de l’inconvenance de la requête, Marcien voulait en châtier exemplairement les auteurs ; Juvénal s’entremit pour l’apaiser, sachant que la disposition des esprits en Palestine exigeait, dans l’intérêt de la paix, plus de ménagement que de rigueur. Marcien finit par comprendre et céda ; mais il écrivit à ces moines une grande lettre que nous avons encore, ou la douceur du fond est suffisamment compensée par la sévérité du langage. « Il voulait bien leur pardonner, disait-il, à la condition qu’ils se tiendraient renfermés chez eux, livrés à la prière et soumis aux évêques, et renonceraient à l’avenir à toute discussion sur les doctrines. » Quant aux crimes dont les requérans prétendent se justifier, il leur répond qu’il a été informé de tout par des actes