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confusion des natures et la passivité du Verbe dans la personne de Jésus-Christ. On s’observait, on se prenait en méfiance, et l’aigreur renaissait entre les partis. Les légats laissaient aller les choses, satisfaits en ce qui les regardait particulièrement, et pensant que de guerre lasse l’empereur lui-même arriverait à se contenter de la lettre du pape. Cependant le patriarche Anatolius, qui voulait être bien en cour, se donna tant de mouvement qu’il fit adopter par des groupes nombreux un projet de définition dont, suivant toute apparence, il était l’auteur. Quand il eut réuni un assez grand nombre d’adhésions partielles, il pensa pouvoir aborder la discussion en assemblée générale ; mais là était la grande difficulté.

Ce projet fut lu à la séance du 22 octobre par le diacre Asclépiade, de l’église de Constantinople. Calqué en majeure partie sur la lettre de Léon, il en différait néanmoins en certains points essentiels : ainsi il portait que Jésus-Christ était de deux natures après l’union, au lieu de dire avec la lettre du pape Léon qu’il était en deux natures. Au fond, cela n’était pas fort différent, et dans des circonstances normales on eût pu adopter l’une ou l’autre formule comme équivalentes ; mais dans la circonstance présente on y vit et on y devait voir une distinction calculée. L’expression de deux natures semblait une concession faite à l’eutychianisme, qui professait bien deux natures avant l’incarnation, mais une seule nature après, du mélange et de la confusion des deux autres. Elle offrait aussi le danger de paraître accepter, puisqu’on ne la réfutait pas, l’expression de Cyrille sur laquelle Eutychès avait construit tout un échafaudage : « une seule nature incarnée du Verbe divin. » L’absence des mots a après comme avant l’incarnation » pouvait faire soupçonner à des esprits prévenus quelque piège eutychien. Au contraire l’expression en deux natures indiquait nettement l’idée catholique de Jésus-Christ, Dieu et homme après l’incarnation, Dieu parfait et homme parfait.

À cette raison générale s’en joignait une particulière : c’est que Dioscore admettait la première formule et rejetait la seconde, qu’il avait même fondé la condamnation de Flavien sur ce que celui-ci avait professé deux natures en Jésus-Christ. La définition proposée, tout en restant orthodoxe, était donc imparfaite en ce qu’elle ne frappait point l’erreur, et n’énonçait rien que les eutychiens ne pussent recevoir aussi bien que les catholiques. L’admettre, c’était laisser les choses en état, et les eutychiens ou semi-eutychiens pouvaient dire avec quelque apparence de droit que la définition leur était favorable.

En effet, les dissentimens éclatèrent pendant la lecture d’Asclépiade ; des murmures et des protestations se firent entendre dans