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Eutychès ne croit pas comme l’église catholique, acheva de dire Carosius, qu’il soit anathème ! » On ne put tirer autre chose de lui.

Le concile revint à la lettre de Léon, qu’on voulut leur faire signer ; ils s’y refusèrent obstinément. Dorothée soutint qu’Eutychès était orthodoxe, et que, pour être dans l’orthodoxie, il suffisait de confesser que « celui qui a souffert est de la Trinité. » A chaque mot, des murmures et des cris l’interrompaient. « Souscrivez-vous à la lettre, la signez-vous ou non ? » disaient les évêques. Dorothée répondait imperturbablement : « Je crois au baptême, mais je ne signe pas la lettre. » Même obstination chez tous les autres successivement interrogés. Les magistrats, fort perplexes, prièrent le concile de leur accorder un délai de deux ou trois jours pour leur laisser le temps de réfléchir. « Il n’en est pas besoin, dirent les archimandrites, nous ne changerons pas de sentiment. » Le concile cependant, cédant à l’indulgence des magistrats et au désir manifesté par l’empereur, leur accorda un délai de trente jours. Si leur soumission n’était pas entière à cette époque, ils devaient être déchus de leurs grades et dignités et même retranchés de la communion. Que s’ils cherchaient à s’enfuir, ils seraient saisis par l’autorité séculière et soumis aux peines des canons. Après cette décision, on les reconduisit hors de l’église ; nous verrons plus tard ce qu’ils devinrent.


II

Tout empressé que le gouvernement impérial se fût montré vis-à-vis des légats dans l’espoir de les gagner à sa cause, quelques efforts même qu’il eût faits auprès du concile pour l’engager à donner à la lettre du pape ce caractère de canonicité ambitionné par l’église romaine, l’empereur n’en tenait pas moins fermement à son dessein d’obtenir une définition. Une forte pression était donc exercée sur les évêques individuellement par les officiers publics et les personnages importans de la cour ; on les engageait à se rendre dans des conciliabules où la question était agitée, principalement chez le patriarche Anatolius. « Faites quelque chose, leur répétait-on, l’empereur vous en saura gré. » Les évêques obéissaient à contre-cœur ; mais, quand on était en présence, rien n’aboutissait. La fraction du côté droit ralliée à la gauche, les Illyriens, les Grecs continentaux, les Palestins, qui conservaient un vieux levain d’idées eutychiennes ou semi-eutychiennes, inclinaient toujours vers des formules qui effaçaient la séparation des deux natures après l’union, tandis que les Orientaux et leurs alliés d’Asie, de Pont, de Cappadoce, étaient en garde contre toute expression pouvant indiquer la