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prendre de la part du prince-chancelier de l’empire allemand. Sans doute M. de Bismarck avait son objectif personnel et direct dans cette affaire ; il avait à enlever le succès de sa loi sur l’inspection des écoles, qui rencontrait dans la chambre des seigneurs une assez vive opposition. Il avait convoqué le ban et l’arrière-ban de ses partisans. Cela ne suffisait pas encore, à ce qu’il paraît. Au moment voulu, à la dernière heure, il a tiré du fourreau une arme infaillible. Il s’est trouvé par hasard avoir découvert dans son courrier du matin un rapport qui venait justement de lui être adressé par un des diplomates « les plus expérimentés et les plus considérés. » Et que disait ce mystérieux rapport si opportunément arrivé à Berlin dans la valise de M. d’Arnim ? Il assurait que la France, à n’en pas douter, méditait une revanche, qu’elle attendait l’effet des agitations religieuses fomentées en Allemagne sur un mot d’ordre venu de Rome, de Paris, de Bruxelles, de Genève, — qu’elle comptait sur ces agitations pour « paralyser la force et l’unité allemandes, » prête à saisir l’occasion propice et à se lever au signal du clergé, qui a inscrit sur son drapeau : « vengeance contre l’Allemagne et rétablissement de l’hégémonie française. » Cette révélation, qui fait honneur à la sagacité du diplomate auteur du rapport, n’a pas manqué son effet, on le comprend : la loi sur l’inspection des écoles a été votée à une assez grande majorité ; mais M. de Bismarck ne se contente pas de si peu, il est homme à poursuivre plusieurs objectifs à la fois, et, puisqu’il était en veine de divulgations intéressantes, il a continué la lecture du fameux rapport, où il est dit qu’il ne faut pas se faire illusion, qu’avec la revanche contre l’Allemagne nous préparons « un coup contre l’Italie, » que nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas ramené notre drapeau au-delà des Alpes et rétabli dans le pays « la domination papale, c’est-à-dire la domination française représentée par le pape. » C’est notre dernier mot ! Allons, l’armée que réorganise M. Thiers a de la besogne devant elle, la France médite de l’envoyer à Berlin et à Rome ! Heureusement M. de Bismarck est là, et il a chargé sans doute le prince Frédéric-Charles, qui par hasard, lui aussi, se trouvait à Rome en ce moment-là, de rassurer le gouvernement italien. Qu’a pu dire le prince Frédéric-Charles au roi Victor-Emmanuel ? Nous ne le savons certainement pas ; ce qu’il y a de curieux tout au moins, c’est ce rapprochement entre le langage tenu par M. de Bismarck à Berlin et le voyage du prince prussien à Rome. Le chancelier de l’empire allemand a pensé que les manifestations intempestives qui se sont produites depuis quelque temps à Versailles étaient pour lui la meilleure occasion d’offrir son alliance à l’Italie, de déployer ce spectacle de l’intimité des deux nations qui ont marché ensemble au combat en 1866. Les Italiens, qui sont de fins et clairvoyans politiques, ont dû savoir beaucoup de gré à leur ancien allié, mais assurément ils ne se sont pas sentis assez menacés pour accepter ses offres. Quoi qu’on en dise,