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poids décisif dans une grande question internationale ; mais y a-t-il un politique assez aveugle ou assez léger pour proposer à la France un système qui ne pourrait la conduire qu’à une guerre inévitable avec l’Italie ou à une démonstration puérile ? Avant de songer à la souveraineté temporelle du pape, il nous est permis sans doute de songer à la France. — Mais non, disent ces grands politiques, ce n’est pas la guerre qu’on demande, on se borne à solliciter une intervention diplomatique auprès des puissances de l’Europe. — Et sur quoi se fonderait cette intervention ? auprès de qui interviendrait-on ? Est-ce sérieusement qu’on parle de s’adresser à la Russie, à l’Autriche, qui s’est désintéressée de tout ce qui se passe en Italie, à l’Espagne, qui a demandé un roi à la maison de Savoie ? Eh bien ! soit, qu’on n’intervienne pas, ajoute-t-on, qu’on s’abstienne du moins de sanctionner les événemens qui ont mis Rome au pouvoir de l’Italie par l’envoi d’un ministre de France. Ignore-t-on qu’entre des puissances qui se respectent c’est là une rupture diplomatique, qu’une rupture diplomatique conduit bientôt à une rupture morale, nationale, et à tout ce qui peut s’ensuivre ? N’y eût-il même que cette discussion qu’on veut provoquer, et que les députés catholiques qui s’en font les promoteurs devraient avoir la prévoyance d’ajourner ou plutôt d’abréger, n’y eût-il que cela, il ne faut pas croire que ce soit absolument sans danger, car enfin on dira tout ce qu’on voudra à Versailles, on parlera durement de l’Italie, du roi Victor-Emmanuel. Or il y a un parlement à Rome, on pourra répondre à ce qui aura été dit à Versailles, et quel que soit le vote, fût-il le plus favorable, il peut rester des traces de ces animosités parlementaires. On créera des difficultés aux deux gouvernemens ; on entretiendra autour d’eux des susceptibilités, lorsqu’on devrait comprendre au contraire qu’entre la France et l’Italie il ne peut y avoir que des raisons d’amitié et d’alliance, lorsque la meilleure politique est de multiplier et de fortifier les rapports d’intimité entre les deux pays. Eh non ! on ne fera pas la guerre à l’Italie pour rétablir le pape, c’est bien évident ; soit : on n’aura pas du moins perdu son temps, on aura donné libre cours à sa mauvaise humeur, et on aura fait ce qu’on aura pu pour susciter des ombrages, pour laisser croire que la France garde toujours quelque arrière-pensée dans ses rapports avec la nation italienne, tandis que c’est assurément le moindre des soucis de la masse du peuple français.

C’est une étrange manière de servir notre malheureux pays. Et sait-on à qui profitent ces démonstrations sans prévoyance, sans portée réelle, mais non sans danger ? À M. de Bismarck, qui est assez habile pour tirer parti de tout, et qui ces jours derniers, dans la chambre des seigneurs de Berlin, n’a pas manqué de faire grand bruit de la petite effervescence catholique de Versailles, en lui donnant une étendue et une signification qui étonneraient, si une hardiesse quelconque pouvait sur-