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malhonnête peut demain dissimuler quelque détournement frauduleux, quelque honteux gaspillage. Où est la garantie ? où est la possibilité d’un contrôle efficace ? Lorsque l’arbitraire s’est établi au sommet, il descend jusqu’aux moindres degrés de l’administration. Ces viremens qu’on invoque sont le commode passeport de toutes les fantaisies. Et si ces faits sont à noter, c’est qu’ils jettent un jour singulier sur l’administration ou du moins sur les procédés de certains administrateurs de l’empire, c’est qu’ils ont un sens politique, c’est qu’ils ne sont point malheureusement étrangers à tous nos désastres. S’il y avait eu un contrôle véritable, sérieux, il n’y aurait pas eu ces insaisissables déplacemens de dépenses qui ont appauvri nos forteresses, nos armemens, nos approvisionnemens, pour alimenter la ruineuse et meurtrière expédition du Mexique. Voilà la triste moralité de cette affaire.

Oui, l’histoire récente de la France commence là, dans cette obscurité de l’arbitraire, pour se dérouler bientôt à travers les péripéties sanglantes et aller se perdre dans cette insurrection du 18 mars, sur laquelle une commission de l’assemblée a fait une enquête dont les résultats offrent le plus saisissant intérêt. L’histoire de l’infortune française est là tout entière, douloureusement, tragiquement écrite dans tous ces faits, dans toutes ces dates qui se succèdent, dans tous ces détails et ces témoignages scrupuleusement recueillis ; on peut la saisir dans ses origines, dans ses suites néfastes. Assurément rien n’est plus instructif que cette enquête qui vient d’être publiée, qui éclaire la marche des événemens, qui jette une lumière si étrange sur les choses et même sur certains hommes qui n’ont pas précisément un rôle des plus brillans. C’est tout un ensemble anarchique, confus, sinistre, où toutes les passions de sédition fermentent pendant cinq mois de siège pour faire explosion au dernier jour en présence de la patrie abattue et de l’ennemi campé autour des murs de Paris ! Et qu’on ne se figure pas que les tristes héros de cette fatale et lugubre aventure ignoraient ce qu’ils faisaient et où ils allaient ; ils le savaient très bien, témoin la curieuse déposition où l’on peut lire ces mots proférés par un de ces malheureux : a Si nous sommes vaincus, nous brûlerons Paris, et nous ferons de la France une seconde Pologne ! » Voilà comment ils entendaient sauver et régénérer la France ! Or dans tous ces événemens quel est le rôle de l’internationale ? C’est une question qui n’est pas seulement étudiée dans l’enquête, qui est en ce moment même discutée devant l’assemblée, où le gouvernement a porté une loi qui frappe d’interdiction et de peines sévères l’association internationale. On peut dire aujourd’hui, et on l’a dit dans la discussion, que cette triste et malfaisante société a perdu sa puissance, qu’elle n’est plus dangereuse, que la frapper d’une loi spéciale c’est lui donner le relief de la persécution ; qu’on dise ce qu’on voudra, on ne peut pas laisser vivre une affiliation dont l’existence est un attentat permanent, par cela même qu’elle menace la société fran-