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s’occupe surtout d’empêcher ses adversaires de gagner du terrain, dût-on n’en pas gagner soi-même. La droite accuse la gauche, la gauche accuse la droite, les centres gémissent, le gouvernement regarde, et tout va un peu à la diable.

Disons le mot : on sent bien à coup sûr l’amertume de nos désastres, on n’ignore pas que nous sommes dans une des situations les plus extraordinaires et les plus affreuses où la mauvaise fortune ait jamais jeté un peuple, et, pour faire face à cette situation, on se figure trop qu’il suffit de recourir aux moyens ordinaires, de revenir aux habitudes anciennes, aux tactiques des partis, aux petites combinaisons parlementaires. Non, malheureusement cela ne suffit pas. C’était bon ou acceptable autrefois, lorsqu’on vivait dans des conditions plus ou moins agitées, plus ou moins précaires, mais encore intactes, — lorsque la France n’avait pas souffert du mal de l’invasion et de cette dissolution morale qui a fait sa faiblesse devant l’étranger. Aujourd’hui le mal a éclaté dans toute sa force, il se manifeste sous les formes les plus saisissantes ; il ne s’agit plus pour y remédier de tactiques plus ou moins habiles, de combinaisons plus ou moins adroites pour éluder les difficultés : il n’y a plus d’autre ressource que de chercher dans les circonstances mêmes le secret d’une politique qui, par ses inspirations et par ses procédés, s’élève à la hauteur d’une situation si cruellement aggravée. Il faut que la France vive, on l’a dit avec une poignante vérité, il faut que la France se délivre, se réorganise, se reconstitue ; il faut que toutes les prétentions, toutes les impatiences, toutes les arrière-pensées plient devant cette suprême et impérieuse nécessité. Tout est là, et c’est parce qu’il en est ainsi que le provisoire, ce malheureux provisoire où nous avons été jetés par une tempête, avait sa raison d’être, puisque par sa nature il pouvait mieux que tout autre concentrer toutes les forces dans l’œuvre commune de réparation nationale, puisqu’il ne demandait aux partis que leur patriotisme sans leur imposer le désaveu de leurs principes ou l’abdication de leurs espérances, puisque seul il pouvait tenter avec quelque chance de succès cette grande conciliation momentanée qu’aucun autre régime n’aurait pu réaliser.

Ce provisoire, il n’a point cessé d’avoir sa raison d’être, et c’est ce qui le soutient encore au milieu des singuliers assauts qu’on dirige contre lui ; mais il est bien clair que, si l’on veut qu’il garde une certaine efficacité, et nous pourrions même dire sa moralité, il faut le pratiquer avec le sentiment supérieur des grandes nécessités publiques qui l’ont produit, non avec des passions de partis ou des réminiscences d’un autre temps. Il faut, en un mot, l’accepter simplement et franchement pour ce qu’il est, comme un système transitoire, anonyme et collectif de réorganisation nationale qui appelle toutes les coopérations. Si l’on veut porter dans la pratique de ce régime toutes les excitations, les raffinemens, les subtilités, les rancunes, les jalousies de l’esprit de parti, il en ré-