Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ingénieuses, de vues fécondes, d’hypothèses de tout genre; c’est une véritable forêt vierge d’idées et de conjectures aussi variées que hardies; seulement j’ai remarqué que, faute de l’attention et de la patience suffisantes, la plupart des lecteurs ne savaient pas s’orienter dans cette forêt vierge de manière à rencontrer les districts les plus intéressans sans s’égarer trop longuement. Pour lire Buffon avec plaisir, il faut préalablement apprendre à le lire, et pour cela une première lecture rapide est au moins nécessaire. Ce n’est pas précisément aux monographies d’animaux qu’il faut s’adresser pour se faire une idée exacte du génie de Buffon : celles des animaux qu’il avait vus plus particulièrement sont admirables ; mais en somme il n’en avait étudié directement et minutieusement qu’un très petit nombre, et il en est une foule dont les descriptions sont fondées sur des documens incertains, incomplets ou insuffisans; très souvent il s’est contenté d’une peau empaillée, quelquefois d’un squelette, quelquefois d’un simple dessin représentant la figure de l’animal, ou même tout simplement de la comparaison des diverses descriptions données par les différens voyageurs. Buffon n’avait pas fait de très longs voyages, et il n’avait guère interrogé directement la nature qu’à ses côtés; ce qu’il savait, il l’avait appris, pour ainsi dire, sans presque sortir de Montbard et du Jardin du Roi. Aussi les plus intéressantes et les seules vraiment complètes de ces monographies sont-elles celles des animaux qu’il connaissait, comme nous tous, depuis l’enfance, les animaux domestiques, le bœuf, le mouton, l’âne, le cochon, le cheval, le chien, ou des bêtes fauves familières à nos forêts, à nos parcs et à nos campagnes, le cerf, le chevreuil, le daim, le loup. Deux de ces monographies, celle du cheval et celle du cerf, ont été écrites visiblement avec une prédilection particulière, où le gentilhomme avec ses goûts pour les nobles exercices de l’équitation et de la chasse perce sous le savant naturaliste, caractère qui donne à ces monographies une valeur presque morale, singulièrement intéressante pour le simple littérateur. A part ces exceptions, du reste fort considérables, ce n’est pas aux descriptions mêmes des animaux qu’il faut s’adresser, dis-je, pour prendre une idée exacte du génie de Buffon, c’est aux petites dissertations qui les précèdent et aux observations qui les accompagnent. Ouvrez par exemple la dissertation sur les animaux carnassiers, et vous allez vous heurter contre cette idée qui ne pourra manquer d’intéresser votre réflexion, quel que soit le jugement que vous finissiez par porter sur elle. Réfutant comme une erreur l’opinion cartésienne, qui essayait de localiser l’âme, Buffon émet le doute que le cerveau soit plus que toute autre partie du corps le siège de la substance pensante. Quel est en ce cas le rôle