vait si loin de la conception politique du Paris ville libre de Vallès te proudhonien et de la religion du fusionisme du mystique Babick! Une seule fois cette lecture m’a reporté vers la pensée des tristes événemens qui se déroulaient alors à l’indignation et à la stupeur générales. Lorsque j’arrivai au long chapitre qui traite des rongeurs et de leurs innombrables variétés, je ne pus point ne pas remarquer qu’il y avait une ressemblance plus que frappante entre les mœurs de ces bestioles et les passions qui s’agitaient alors dans la capitale de la France. Jusqu’alors j’avais pensé que l’animal le plus féroce de la création était le tigre; Buffon et l’anarchie parisienne m’apprenaient au même moment que c’était le rat. Quel tableau effrayant le grand naturaliste a tracé de leurs passions belliqueuses, de leurs rivalités, de leurs luttes, de leurs convoitises ! Si l’on suppose les rats atteignant à la dimension du chat, ils dépeupleraient le monde. Heureusement c’est contre eux-mêmes qu’ils tournent leur propre férocité; lorsqu’ils entrent en guerre ou qu’ils sont poussés par la faim, ils se précipitent sur leurs frères rats, coupent leurs têtes et les mangent; quand leur faim est satisfaite, leur férocité mise en mouvement ne se ralentit pas toujours pour cela, et ils continuent à scalper leurs ennemis à la façon des Peaux-Rouges. Non-seulement ils dépeupleraient le monde, si leur force égalait leur férocité, mais ils l’affameraient. Rien n’égale leur énergie de rapine; il y a telle espèce, le hamster par exemple, qui se creuse des logemens presque impossibles à découvrir à plusieurs pieds sous terre, et qui entasse dans ses vastes magasins jusqu’à cent livres de blé par individu. Mais le fait le plus nouveau pour moi dans cette série de monographies des rongeurs, c’est que l’énorme rat parisien de nos égouts et de nos caves, que je croyais une race autochthone, appartenait au contraire à un peuple d’envahisseurs dont l’apparition est de date toute récente. C’est au XVIIIe siècle même et une vingtaine d’années seulement avant la publication des premiers volumes de l’Histoire naturelle que ces hordes de Huns et de Tartares rongeurs se présentèrent dans Paris et ses environs, où jamais on ne les avait vus auparavant. De quelle contrée prochaine ou lointaine sortaient-ils, on ne l’a jamais su, au dire de Buffon, et comme ils n’avaient pas de nom, le grand naturaliste leur donna celui de surmulots qu’ils ont conservé, parce qu’il avait remarqué qu’ils présentaient une assez grande ressemblance avec la race de rats rustiques connus sous le nom de mulots. Au moment même où je lisais ce fait singulier, Paris aussi était envahi par des légions de rats humains d’une espèce jusqu’alors inconnue malgré les nombreuses ressemblances qu’elle présente avec l’ancienne race des anarchistes parisiens. Cette partie de l’histoire naturelle est la seule,
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