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mouvement universel, pesait sur la société d’un poids onéreux et nuisible, il aurait succombé depuis longtemps sous les attaques dont il est l’objet. Le nombre, la force et l’insouciance téméraire sont du même côté, c’est-à-dire du côté des classes populaires. La puissance qui reste victorieuse quand même du prolétariat si menaçant, ainsi que de ses passions et de ses préjugés, éternels comme ses fatigues et ses justes doléances, ne tient point aux combinaisons de pouvoir des minorités supérieures, c’est l’instinct général de la réalité, et surtout la nature même des choses, plus forte que toutes les majorités.

La philosophie profonde du langage vulgaire ne se trompe pas quand elle désigne la richesse sous le nom de fortune, ce qui implique l’idée juste qu’aux seuls coups d’un sort aléatoire on doit d’ordinaire la richesse ou le bonheur. Le droit à l’un ou à l’autre, et l’égalité qui en serait la conséquence impossible, sont des expressions vides de sens pratique. Il est aussi chimérique de vouloir soumettre à des règles les hasards de la vie que ceux de la naissance; autant vaudrait réclamer contre les personnes dont l’existence se prolonge au-delà de vingt-huit ans, moyenne ordinaire de la vie humaine. Que l’on cesse donc de répéter que les ouvriers sont dupes de la société, ou exploités par les lois économiques du pays; il n’y a point envers eux de spoliation ni d’injustices systématiques et sociales. Aussi ne faut-il plus tolérer parmi nous, sans les relever, les déclamations mensongères de ces hommes que M. Guizot appelle les malfaiteurs de la pensée, et qui, depuis Rousseau, accusent, raisonnent et promettent à contre-sens. Ils font tout ce qu’il y a de pire dans l’ordre moral, ils tuent l’esprit et détruisent le jugement. D’après La Bruyère, « ce qu’il y a de plus rare en ce monde, c’est l’esprit de discernement; » que dirait-il donc aujourd’hui?

Quand un peuple garde de fausses notions économiques et historiques, et que, par passion politique ou sociale, il refuse d’abandonner ses préjugés et ses erreurs, lorsqu’il se montre également incapable de dire ou d’entendre la vérité, ce peuple est en grand danger. Nos détracteurs prétendent que nous nous trouvons précisément dans ce cas fâcheux. Aussi notre éducation est toute à refaire; Dieu sait ce que nos erreurs nous ont coûté. Il nous faut pousser les esprits dans une direction nouvelle. L’économie politique, sans pouvoir nous apprendre toujours ce qu’il faudrait faire, est arrivée du moins à un degré suffisant de précision scientifique pour nous montrer avec certitude ce qu’il ne faut pas faire. Si dures et si peu consolantes que soient les vérités qu’elle nous démontre, pourquoi lutter contre l’évidence, et recommencer sans cesse à nous