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nous dira : en quatre années successives ont été bâties une maison coûtant 100,000 francs, une ferme, une forge, une filature, de 100,000 francs chacune ; capitaux immobilisés : 400,000 francs, somme égale à la valeur totale. Ce calcul est peu rigoureux en soi. Les 400,000 francs de capitaux mobiliers ne se trouvent nullement immobilisés, quoiqu’une valeur estimée à ce prix soit créée, ni encastrés dans le sol ou les murailles ; ils sont au contraire jetés dans la circulation sous forme de salaires comme d’acquisitions de tout genre, et ont à jamais disparu des mains du capitaliste-propriétaire jusqu’au jour où celui-ci aura revendu son immeuble à un autre. Les 8 milliards auxquels on porte la valeur de nos chemins de fer représentent-ils autre chose qu’un 1/2 milliard peut-être seize fois employé ?

Que l’on ne s’attende pas à trouver ici une définition du capital, de ce Protée aux mille formes, qui naît de tout ce qui s’épargne, qui renaît de tout ce qui se dépense, qui paie et reçoit le prix de toutes choses, qui ne peut profiter à un seul sans profiter en même temps à d’autres, qui sans s’accroître en quantité peut indéfiniment se multiplier par les résultats utiles, qui, tour à tour principal, intérêt, salaire, profit et revenu, à la fois cause et effet, est à la disposition de qui sait le prendre sous certaines conditions, mais s’évanouit aussitôt à la moindre menace de violence. Sans prétendre pénétrer les mystères de la demi-obscurité douce et quelque peu imposante qui règne dans le temple de l’économie politique et inspire une timidité respectueuse aux adeptes récemment introduits, ce que nous voulons seulement retenir, c’est que le capital, appelé quelquefois « la somme des utilités d’une nation, » est indispensable, et que l’on ne saurait s’en passer. Comme la vapeur, le capital matériel et scientifique décuple les forces productives de l’humanité. Sans capital, l’hectare produit 15 hectolitres de blé ; avec un capital bien employé, il en produit 30. Sans capitalistes point de capital, sans lettrés point de science, grâce auxquels le travail de l’ouvrier vaut 10 ou 15 sans surcroît de peine, tandis qu’il ne vaut plus que 5, si les capitaux ainsi que la direction et le secours intellectuels viennent à manquer.

Il faut en effet non-seulement un capital impersonnel qui paie, mais encore un capitaliste personnel et vivant qui détruise et consomme le surplus de la production. Si les orateurs de clubs consentent parfois à reconnaître la nécessité du capital, ils ne manquent jamais d’accabler de leurs invectives le capitaliste, oisif ou non, comme un parasite inutile, indigne du pain quotidien et de la lumière du jour. Ils se font l’illusion de croire que l’abolition du capital ou le partage entre les producteurs pourrait s’opérer sans dé-