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en effet jusqu’à quel point se trouveraient bouleversés les rapports entre toutes les valeurs dans un changement aussi radical ?

Quant à la prétention de ceux qui se flattent d’obtenir une meilleure répartition de la richesse par l’augmentation universelle des salaires, il est aisé d’en faire justice en montrant le néant de leurs promesses intéressées et captieuses. Essayons de porter le salaire général des ouvriers adultes au taux seulement du salaire moyen de Paris, qui est environ de 4 fr. 50 cent, par jour pour les hommes et de 2 francs pour les femmes. Nous comptons en France 6 millions d’hommes et 6 millions de femmes occupés aux travaux de l’agriculture, environ 2 millions d’hommes et 2 millions de femmes vivant du travail industriel, plus 1 million de salariés attachés aux services, transports et soins matériels divers ; en tout 17 millions d’ouvriers et ouvrières, ou 8 millions 1/2 de couples de travailleurs manuels. Chaque couple gagnant 6 francs 50 centimes, ce qui donne un total de 55,250,000 francs par jour, on arrive à la somme de 13 milliards 812 millions pour 250 journées de travail par an. Que resterait-il aux 21 autres millions de la population française ? 4 milliards, ou environ 45 centimes par tête et par jour, de sorte que pour les vieillards et les enfans et pour quiconque ne ferait pas partie des catégories autrefois désignées sous le nom de gens de métier, travaillant de leurs mains, c’est-à-dire pour les lettrés, les avocats, les rentiers, les propriétaires, les savans et les artistes, le revenu quotidien se réduirait à 45 centimes, insuffisans même pour la littérature démocratique la plus modeste. La république des lettres ne pourrait-elle donc fleurir que sous les monarchies ? Ainsi tout novateur affirmant qu’une combinaison quelconque permettrait d’élever la moyenne générale des salaires au taux du salaire moyen de Paris est un imposteur, et mérite d’être puni autrement que par le mépris public, pénalité commode qui n’a jamais arrêté les amateurs de pêche en eau trouble.

Abordons les faits et les chiffres tels qu’ils sont présentés par la statistique. Les 18 millions d’ouvriers agricoles, hommes, femmes et enfans compris, gagnent ensemble une somme annuelle de 3 milliards 400 millions environ. D’autre part, les ouvriers industriels, s’élevant au chiffre de 5 millions ou 5 millions 1/2, y compris les serviteurs et salariés de toute espèce, ont réalisé au bout de l’année un salaire dont la somme constatée paraît pouvoir être estimée à 2 milliards 800 millions. Les produits agricoles étant évalués à 3 milliards 1/2, et les produits industriels à une somme à peu près égale, on voit qu’il y a presque équivalence entre les produits et les salaires. Il convient en outre de remarquer que le salaire industriel est estimé trop bas, parce qu’une certaine quantité d’ou-