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une suffisante probabilité. Ainsi M. Thiers, répondant à M. Desseilligny le 13 janvier dernier, affirmait l’existence de 7 milliards d’effets de commerce. Lorsqu’on s’occupe de l’impôt du revenu, tout le monde semble d’accord pour reconnaître que la somme des revenus nets des Français s’élève à 7 ou 8 milliards, ce qui serait à 5 pour 100 l’intérêt des 145 ou des 150 milliards du capital de la France. Seule de toutes les estimations des revenus et des produits réels, cette somme de 7 milliards présente des apparences de certitude. Dès qu’on veut pousser l’investigation économique plus loin, on est exposé à s’égarer, car, si l’on porte à l’actif de la France 7 milliards de salaires et 7 milliards de produits, puis autant pour les revenus privés et pour les effets de commerce, c’est non plus 15 ou 18 milliards qu’on obtient, mais bien 21. Sans rien préciser sur ce point, il y a lieu d’avancer que l’ensemble des fortunes et des revenus privés est toujours un multiple des 7 milliards fondamentaux de produits réels, multiple plus ou moins exact et élevé selon le nombre des évolutions économiques constatées. Quoi qu’il en soit, le chiffre des 7 milliards de produits paraît pouvoir être admis, sauf contrôle, comme point de départ.

Dans une liquidation sociale, quelque radicale qu’elle soit, chacun n’aura donc que son trente-huit-millionième des 7 milliards, c’est-à-dire 184 francs pour l’année entière, ou environ 50 centimes par jour. Il y a loin, on le voit, de cette maigre ration quotidienne, qui ne pourrait même pas être obtenue sans travail, aux 30 sous par jour que la commune de Paris donnait à ses fidèles et semblait garantir à tous les citoyens. Provoquer une révolution sociale et un bouleversement universel pour 50 centimes par tête et par jour, ou même un peu plus, cela demande quelque réflexion. Quel est l’ouvrier dont le salaire moyen n’est pas actuellement de beaucoup supérieur à cette somme dérisoire? C’est donc à perdre le surplus qu’il travaille, puisque les produits, dont la main-d’œuvre se partage seule aujourd’hui la valeur entière, devraient être répartis entre tous les Français. Comment se fait-il que presque tous aujourd’hui nous touchions en salaires, revenus et profits plus que notre part moyenne théorique? C’est que cette part moyenne ne pourrait s’établir que sur la richesse positive et limitée des produits réels, tandis que, dans l’état de liberté économique» les salaires, revenus et profits se prélèvent en grande partie sur la richesse relative de circulation, richesse changeante, aléatoire et fluide, qu’il est impossible de régler, de saisir ou de diviser.

M. Thiers, dans son discours du mois de juin dernier, porte à 15, 16 ou 17 milliards le produit annuel de la France, d’autres vont même jusqu’à 18 milliards; c’est qu’ils n’avaient pas à distinguer