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sérieusement que possible. C’est l’inventaire tout entier de la France qu’il s’agit de relever pour élucider cette grosse question. Nous avons choisi à dessein la plus élevée que nous ayons rencontrée parmi les évaluations du capital de la France. D’après MM. Passy et Houssard, on peut estimer à 70 milliards le capital mobilier non engagé dans les entreprises commerciales et industrielles; d’autre part, la propriété foncière est évaluée à 100 milliards, rapportant 3 milliards 1/2 environ. Le capital engagé dans les entreprises commerciales est de 25 milliards, rapportant 2 milliards 1/2, à 10 pour 100 : total général 195 milliards, dont il semble qu’on doive retrancher, pour les dettes hypothécaires, chirographaires et nationales, 44 milliards, ce qui réduit l’inventaire de notre capital général à 150 milliards environ, chiffre généralement adopté. Ce serait une belle proie; mais vit-on du capital? On vit des produits qu’il donne. La répartition même des 5 milliards de numéraire existant en France ne changerait rien à la situation de chacun. Le capital une fois partagé, il ne resterait jamais, comme utilité réelle, que les produits à consommer.

Là superstition populaire s’imagine volontiers que le capital est un gros amas d’or soigneusement enfermé et caché dans les armoires et les caisses des banquiers ou des propriétaires, qui, selon leur fantaisie, en distribuent à l’ouvrier une part tout juste suffisante pour l’empêcher de mourir de faim. Le peuple est encouragé à croire que le capital est une poule énorme qui pond indéfiniment des œufs d’or dont les riches dissimulent et accaparent le plus grand nombre. Les chefs socialistes promettent chaque jour à leurs adeptes, en vue d’un lendemain qui n’arrive jamais, de leur faire voir et de leur donner la poule, ne fût-ce que pour la mettre au pot, comme le disait déjà Henri IV, ce roi habile jusqu’au génie, qui resta Gascon en se montrant quelque peu socialiste pour son époque. Aux beaux temps de la commune de Paris, le peuple crut bien avoir attrapé la poule; c’est lui qui fut trompé une fois de plus. Comment pourrait-il en être autrement? Le capital, en fin de compté, ne vaut que par les produits.

Quel est annuellement le revenu réel, ou plutôt quelle est la somme des produits échangeables de la France? Le pays donne, dit-on, environ 3 milliards 1/2 de produits agricoles, et 3 milliards passés de produits industriels, en tout 7 milliards. Ce serait le chiffre le plus important à justifier dans cette étude, puisque les 7 milliards de produits formeraient seuls la matière utile du partage au cas où une telle opération deviendrait praticable. Les statistiques industrielles et agricoles ne sont pas ici nos seules autorités, ce chiffre s’appuie sur des concordances trop frappantes pour ne pas offrir