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supprimée, la production n’équivaudrait même plus aux exigences de la consommation. Loin de pouvoir atteindre le capital, les visées et les convoitises des socialistes ne peuvent donc s’exercer que sur les produits, encore sensiblement diminués : ces produits ne s’élèvent en réalité qu’à 7 milliards, et, comprenant les revenus et les capitaux en circulation, constituent toute la richesse active et réelle du pays.

Sans pousser le radicalisme jusqu’au partage intégral des biens, certaines écoles réclament impérieusement l’augmentation générale des salaires et une plus forte rémunération de la main-d’œuvre. Le grand cheval de bataille des sectes socialistes est de prétendre que la part des profits est trop forte pour le capital et trop faible pour le travail. A ne consulter que les apparences, on serait tenté de croire en effet que le capital abuse étrangement de ses avantages, et que la part du salaire pourrait être facilement augmentée. En voyant tel grand manufacturier se lancer dans les affaires avec quelques centaines de mille francs, puis, vingt ans après, posséder 10 ou 15 millions, ne se dit-on pas que, si cet heureux industriel avait 4 ou 5 millions de moins, et que les salaires de ses ouvriers eussent été augmentés d’autant, son aisance fût restée suffisante, et que tout eût été pour le mieux? Les grandes fortunes territoriales peuvent inspirer des réflexions analogues.

Avant tout, c’est à tort que l’on discute pour savoir s’il y a partage équitable ou non entre le capital et le salaire; en réalité, le partage n’existe pas. Il n’y a qu’une oscillation régulière, successive et forcée, qui porte la totalité des revenus et des capitaux d’exploitation disponibles tour à tour dans la main des travailleurs et dans celle des capitalistes. La somme est toujours la même, de quelque côté qu’elle se trouve. Selon la prospérité ou la rigueur des temps, elle augmente ou diminue, pour les uns comme pour les autres. Ce qui cause l’inégalité douloureuse des conditions, c’est que d’une part les travailleurs copartageans se comptent par de nombreux millions, tandis que de l’autre les capitalistes ne sont que quelques centaines de mille appelés à diviser entre eux cette masse de richesse identique dans la somme, mais profondément différente comme répartition ix chaque oscillation du balancier économique. Cette inégalité de répartition pourrait-elle être corrigée par une combinaison quelconque?

Il n’en peut malheureusement pas être ainsi. Pas plus que la pauvreté, la richesse ne se règle par des décrets. Les réalités de l’économie politique ne sont pas si débonnaires; les lois en sont dures, inflexibles, au-dessus de toute volonté humaine. Celui-ci pourrait être riche et non celui-là; seulement il faut que quelqu’un le soit,