Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cables, il n’y aurait donc pour la collectivité aucun bénéfice. Seulement la grande supériorité de notre système économique consiste en ce que, tout en laissant la communauté toucher périodiquement et intégralement la valeur totale de toutes choses, la répartition des biens échappe à l’arbitraire et à l’instabilité d’un partage fait par l’état. Cette répartition s’opère naturellement, et par une sorte d’enchère publique du travail, de l’intelligence et de l’épargne, sans aucune intervention des pouvoirs humains, toujours plus redoutables, plus nuisibles, plus injustes dans leurs résultats généraux que ne le sont les écarts fréquens et les injustices apparentes ou réelles des décrets de la naissance et du hasard. Aussi le refus absolu de laisser l’état ou quelque pouvoir humain que ce soit disposer de la distribution du travail et de la richesse est-il le point stratégique où l’on ne doit rien concéder, et où il faut résister à outrance.

De passagères exagérations d’impôts, des spoliations violentes, sont des maux qui peuvent se réparer; mais admettre l’intervention de l’état dans la répartition des biens, c’est la ruine absolue, le suicide et la mort sociale. On alléguera que les collectivistes et les novateurs les plus subtils ne parlent ni de confiscation ni de spoliation directe; ils proposent la gratuité du crédit, la solidarité et la mutualité universelles, ou bien la collectivité seule propriétaire, transformant en usufruitiers les possesseurs actuels à des conditions nouvelles et inconnues; tout cela revient au même. Ces systèmes et d’autres encore ne sont que la spoliation déguisée plus ou moins habilement. Dès qu’on touche à nos savantes et utiles combinaisons économiques résultant de l’expérience comme de la nature des choses, et que la force brutale y porte la main, tout l’échafaudage compliqué de notre richesse disparaît, et nous restons en face du seul produit positif du sol et de l’industrie.

Lorsqu’on fait défiler devant les masses, fatiguées de travail ou dénuées de ressources, des comptes de centaines de milliards, on ne doit pas s’étonner que la tête leur tourne, que la colère et la cupidité s’allument dans leurs cœurs. Il est malaisé de leur faire comprendre que cet énorme capital, dont nous vivons tous pourtant, est une richesse souvent indivisible, en partie fictive et conventionnelle, en tout cas insaisissable, fluide, et qui s’évanouit dès qu’on veut la violenter et en faire le partage, non sans entraîner dans sa ruine la plus grande partie des produits dont elle est la source. La France, privée de son commerce de luxe et de tout ce qui surexcite la production, serait réduite à cet état misérable de ne chercher qu’à produire de quoi empêcher à peine ses habitans de mourir de faim. Toute possibilité de bénéfice étant désormais