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I.

Le fond de toutes les revendications socialistes, comme le prétexte, sinon la cause, de tous les bouleversemens contemporains, est le désir ardent du partage des biens et la foi invincible dans la possibilité de ce partage.

Tout d’abord la proie qui s’offre aux convoitises est le revenu, si inégalement distribué à chacun; il paraît facile d’en faire une plus équitable répartition. Toutefois on ne peut partager avec fruit que ce qui est saisissable, ce qui offre une utilité palpable et positive. Il convient donc de faire deux parts dans le revenu : la part des revenus réels créés par le travail, et la part afférente à la circulation. Quelle est la part des revenus réels? Elle est égale aux produits matériels, aux objets de consommation et d’échange; tout le surplus est dû à la circulation. Suivant que les produits ou la valeur des produits passent en un plus grand nombre de mains, la richesse double ou triple; si les produits valent 1, grâce à la circulation ils valent 2 ou 3. Supprimez les effets de la circulation, il reste purement et simplement le produit. C’est ce qui arriverait en cas de partage général. Si l’on réclame la liquidation de la richesse, on ne pourra partager que les produits; les effets de la circulation deviennent indivisibles et insaisissables comme une abstraction. Peut-on imaginer la répartition des résultats arithmétiques de l’immense circulation qui fait passer en tant de mains dans l’année une même somme d’argent ou de valeurs toujours identique à elle-même, quel que soit le nombre des évolutions accomplies? Ainsi la circulation augmente la richesse générale de tout ce qui dépasse la somme du produit réel; mais, les effets de la circulation ne pouvant être répartis, étant au contraire supprimés ou diminués à la moindre crise, on a le droit d’affirmer qu’en cas de partage il ne reste du revenu que ce qui en est la substance, c’est-à-dire 7 milliards environ de produits annuels, chiffre que nous nous réservons de justifier plus loin.

Ce ne sont pas seulement, il est vrai, les revenus qu’on veut partager, c’est aussi et surtout le capital, objet tour à tour des malédictions et des adorations que l’on sait, le capital qui fait la force du riche et lui donne, dit-on, le moyen d’exploiter les travailleurs. Ici encore on vient se heurter à une impossibilité matérielle. Il ne suffit pas de dresser des inventaires fictifs et de faire pleuvoir les milliards, afin de réjouir les convoitises de ceux qui réclament la liquidation sociale; encore faudrait-il prouver que toutes ces richesses sont une proie facile à saisir, et que la plus grande